Note sur quelques collections cryptogamiques au musée des Confluences (Lyon)
Note on some crytogamic collections in musée des Confluences (Lyon)
- Cédric Audibert & Laurette Neyton
Cette note fait le point sur quelques collections cryptogamiques présentes dans les collections du musée des Confluences, à Lyon. A l’occasion de l’inventaire de ces échantillons, des recherches ont été menées sur leurs auteurs et sur le contexte de leur entrée au musée. Parmi ces collections, nous présentons un fascicule d’une centurie d’algues collectées en Bretagne par Lelièvre de la Morinière & Prouhet en 1841 et des exsiccata de lichens rapportés des missions d’Ernest Chantre (1890-1894) au Caucase et de Gaston Buchet (1892-1895) aux Canaries et en Islande. Les lots de la mission Chantre comprennent deux syntypes de J. Müller Argoviensis pour des espèces décrites sur la base de spécimens collectés par Mme Chantre, une botaniste méconnue : Lecidea araratica and Lecidea chantriana. Enfin, de manière inattendue, une série de mousses de Hilarion Borel, dont la liste a été publiée par Octave Meyran en 1912, est incluse est incluse à la collection Vermorel. Mots clés : Algues - mousses - lichens - musée des Confluences - Victor Vermorel - Hilarion Borel - Octave Meyran - Lelièvre de la Morinière - Prouhet - Gaston Buchet - Ernest Chantre - Jeanne Bellonie Chantre – XIXe siècle – XXe siècle This note deals with four cryptogamic collections held at the Confluences Museum in Lyon. As part of their inventory, research was undertaken on the collectors and acquisition by the museum. Present among these collections is a fascicle of a century of algae collected in Brittany by Lelièvre de la Morinière & Prouhet in 1841. Also two specimens of dried lichens of lichens made during the expeditions of Ernest Chantre (1890-1894) in the Caucasus and Gaston Buchet (1892-1895) in the Canary Islands and Iceland. Among the Chantre collection are two syntypes of species described by J. Müller Argoviensis on the basis of specimens collected by Ms. Chantre, an unknown botanist: Lecidea araratica and Lecidea chantriana. Finally, unexpectedly, a series of mosses of Hilarion Borel, which has been published by Octave Meyran in 1912, is included in the Vermorel collection Keywords: Algae - mosses - lichens - musée des Confluences - Victor Vermorel - Hilarion Borel - Octave Meyran - Lelièvre de la Morinière - Prouhet - Gaston Buchet - Ernest Chantre - Jeanne Bellonie Chantre - XIXth century - XXth century |
Les anciennes collections botaniques de ce qui deviendra le muséum d’histoire naturelle de Lyon (auj. musée des Confluences) ont été séparées du fonds zoologique en 1819, et ont rejoint le Jardin botanique de Lyon. Le muséum s’étant recentré sur la zoologie et la paléontologie, peu de collections botaniques sont entrées après cette date, dont les plus importants sont l’herbier de la région lyonnaise de Clémence Lortet (entré en 1929) et l’herbier Deguilhem daté de 1786 et entré en 1911. En dehors de ces herbiers et de quelques autres plus mineurs, se trouvent des séries d’échantillons cryptogamiques qui ont été cédées en marge d’une donation principale de pièces zoologiques, géologiques ou ethnologiques : mousses et lichens de Victor Vermorel, échantillons rapportés des missions anthropologiques et zoologiques d’Ernest Chantre et de Gaston Buchet, alguier de Lelièvre de la Morinière & Prouhet, tous présents au Centre Louis Lortet de conservation et d'étude des collections du musée des Confluences (CCEC) et objets de la présente note. Deux lots topotypiques (1859) de Lecanora repanda dont le donateur est inconnu et dont on a pas été en mesure d’identifier la collection avec lesquels ils sont arrivés, ne sont pas étudiés ici. |
Victor Vermorel (1848-1927) est un homme politique (sénateur du Rhône) et un scientifique renommé, spécialisé dans la vigne ; il a rédigé une Ampélographie en 7 volumes. Il a fondé la Station agricole et viticole à Villefranche-sur-Saône en 1889. Celle-ci incluait un véritable musée d’histoire naturelle avec des collections botaniques, entomologiques, conchyliologiques et paléontologiques, ainsi que des objets des sciences et techniques. Les collections d’histoire naturelle furent déposées au muséum de Lyon en 1981 (dépôt du Syndicat agricole des cantons de Villefranche et Anse, transformé en don en 1986 à la suite de la fermeture du musée Vermorel). La botanique est représentée par 4 boîtes en toile verte de petit format (26 x 16,5 cm) et comprend 252 parts de mousses et de lichens. Si les lichens ne présentent pas d’intérêt particulier, l’étude du moussier s’est avérée beaucoup plus intéressante ; en effet, une partie (50 parts) émane du botaniste Hilarion Joséphin Borel (1836-1902), qui était responsable de l’entretien de l’herbier d’Alexis Jordan (Roux, 1946). Deux présentations des parts imputables à Borel sont rencontrées : -certaines sont écrites directement de la main de Vermorel (Fig. 1), avec la mention « leg. Borel », parfois avec un encadré noir pré-imprimé ; -d’autres sont dactylographiées (Fig. 2) sur d’anciens feuillets de la Société nationale des Rosiéristes français, dont Octave Meyran était le secrétaire général, ce qui semble indiquer que le moussier ait été en sa possession avant d’avoir été confié à Vermorel. Meyran (1912) dit avoir eu entre les mains (via Vivand-Morel) « un paquet de Mousses récoltées par feu M. Borel », qu’il a étudiées et publiées dans la même note sous la forme d’un catalogue détaillé de 125 espèces dont près de la moitié est retrouvée dans l’herbier Vermorel. En revanche, pour chaque espèce seule une localité est représentée en herbier alors qu’il y a jusqu’à une huitaine de localités différentes dans le catalogue de Meyran. Nombre de ces collectes sont datées de 1867, année mentionnée par Meyran. Une part est notée « Leg. Borel et Burle ». Il sera difficile de savoir lequel des Burle il s’agit, Borel étant le beau-frère d’Auguste, Emile, Louis et Félix Burle, tous quatre botanistes 1. En cherchant d’autres spécimens de Borel, il s’avère qu’une partie se trouve au Jardin botanique de Lyon, soit 12 parts de H. Borel in Meyran (30 parts) et surtout à l’université Claude-Bernard Lyon 1 où nombreuses parts de Borel sont incluses dans l’herbier bryophytique d’Octave Meyran (1500 parts) ; il semble donc que cet herbier Meyran incluant Borel ait été divisé en au moins trois lots, dont un a échu à la Station viticole de Victor Vermorel. Notons encore la présence au Conservatoire botanique national alpin d’une collection de lichens (et mousses) récoltés par Borel aux alentours de Gap en 1866 2. Cette partie a été constituée avant 1867 et ne paraît pas être passée par Meyran.
Ernest Chantre (1843-1924) est un personnage bien connu de l’histoire du muséum de Lyon dont il fut sous-directeur de 1879 à 1909. C’était un anthropologue émérite, fondateur de plusieurs sociétés savantes dont la Société d’anthropologie de Lyon. Il est aussi connu pour ses travaux en géologie et en archéologie, et pour les missions qu’il a effectuées, notamment au Moyen-Orient et au Caucase. Sa femme, Jeanne Bellonie (1866-1952) (Fig. 3), était la sœur de l’explorateur et orientaliste Emile Bourdaret, et avait le goût et la passion des voyages. Elle a effectué plusieurs récits pittoresques avec son mari dans le Tour du monde, dont certains nous ont permis de documenter les spécimens rapportés lors de ces missions (Chantre, 1891 ; 1898). Un fait peu connu est que Mme Chantre herborisait ; en Arménie russe (auj. Turquie), lors de la mission pluridisciplinaire d’Ernest Chantre entre mai et septembre 1890, elle a rassemblé un herbier (Chantre, 1892 ; Rebière, 1897) dont on ignore ce qu’il est devenu et des échantillons de lichens qui sont conservés avec les collections zoologiques au musée des Confluences (Fig. 4). Ces spécimens ont été étudiés par le lichénologue suisse, Jean Müller (1828-1896) alias Johannes Müller Argoviensis qui a reconnu 8 espèces dont deux nouvelles (Müller, 1891) : Lecidea araratica et Lecidea chantriana, cette dernière dédiée à Mme Chantre. Les collections actuellement conservées renferment toutes ces espèces y compris des syntypes des deux espèces décrites par Müller (44003492 et 44003506.1). D’autres échantillons sont issus d’une seconde mission effectuée en 1894. La collection complète comprend 26 spécimens. Ils proviennent des environs du mont Ararat : au lac Kip (Küp gölü), au Petit Ararat (Küçük Ağrı), Tekke deresi, près de Chahr [Şar], Arkhouri [Yenidoğan], entre 1800 et 3300 m, et ont été ramassés du 6 au 10 juillet 1890. Au Conservatoire et Jardin botaniques de la ville de Genève se trouve la collection Jean Müller, dans le fonds de l’herbier Boissier (Clerc & Price, 2005), qui avait été continuée après son dépôt à l’université de Genève. Or C’est Alfred Boissier (1867-1945), assyriologue et petit-fils du botaniste Pierre-Edmond Boissier, qui a accompagné les Chantre lors de leur première mission en Arménie ; il a pu être un intermédiaire auprès de Müller pour les déterminations. Cette collection est historiquement intéressante ; elle est la seule connue de Jeanne Bellonie Chantre qui a complètement été oubliée de l’histoire de la botanique, malgré une espèce nommée en son honneur.
Gaston Buchet (1863-1909) est un explorateur français qui a effectué plusieurs missions en Islande (1892), aux îles Canaries (1895) et au Maroc (à partir de 1900) où il est décédé. Il a rapporté de ses voyages de nombreux objets d’histoire naturelle ou d’ethnologie, surtout donnés au Muséum national d’histoire naturelle. Quelques envois ont été effectués à Lyon en 1903 et 1904 avec des objets ethnographiques, des plantes fossiles, des pièces archéologiques, des spécimens zoologiques et ostéologiques, ainsi qu’une série de lichens (et un lycopode) de sa mission d’Islande et des usnées des îles Canaries, pour un total de 7 lots. Les spécimens d’Islande proviennent de Dýrafjörður et ont été récoltés en juin 1895 et ceux des îles Canaries de la Palma, en 1895. Ces spécimens témoignent modestement de son activité naturaliste lors de ces missions pluridisciplinaires axées sur la géodésie, la géologie, l’histoire naturelle, l’archéologie et l’ethnographie.
Cet alguier comprend 25 parts (Fig. 5) et correspond à un fascicule d’une centurie, qui était vendue en quatre fascicules de 25 échantillons, intitulée : Hydrophytes marines du Morbihan et parue en 1841. Emmanuel Joseph Le Lièvre de la Morinière (1766-1850) et F. Prouhet (peut-être Félix) ont constitué parmi les premières centuries, avant celles des frères Crouan, parues en 1852 (Dizerbo, 1982). Les spécimens proviennent des environs de Vannes. Des centuries plus complètes de Lelièvre & Prouhet se trouvent au Muséum national d’histoire naturelle et au muséum d’histoire naturelle de Nantes (Bazan et al., 2018) ; néanmoins, les centuries de Lelièvre & Prouhet ne semblent pas être très répandues dans les collections, d’où notre souhait de mentionner ici cette série présente au musée des Confluences.
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Pour nous avoir transmis leurs renseignements et des photographies d’échantillons de comparaison, nous sommes redevables à Frédéric Danet (Jardin botanique de Lyon), à Mélanie Thiébaut & Blandine Bärtschi (Herbier LY, CERESE, Université Claude-Bernard, Lyon-1). Nous remercions également Marc Philippe (Université Lyon-1) pour ses informations. |
L’inventaire des « petites » collections, trop souvent délaissées au profit des collections majeures, montre tout l’intérêt qu’elles peuvent éventuellement receler. Cet exemple, mené sur quatre ensembles botaniques en apparence peu captivants, a permis de mettre en évidence des spécimens intéressants sur le plan historique, deux syntypes et des informations diverses sur d’anciens collecteurs dont une femme botaniste oubliée de l’histoire des sciences. |
Bazan S., Geslin J., Guérin M.-L., Lacroix P., Malécot V., Mercier D., Morel N., Pavie C., Rouillard T., Tréguier J., You T., et Zerna P., 2018. HerbEnLoire - Catalogue des herbiers recensés en Pays de la Loire. Université d'Angers, Conservatoire Botanique National de Brest, 279 p. https://tinyurl.com/y2l7apae (consulté le 01/07/2019) Chantre B., 1891. A travers l'Arménie russe (…). Le Tour du monde, nouveau journal des voyages, 61 : 369-416. Chantre B., 1898. En Asie mineure, souvenirs de voyages en Cappadoce et en Cilicie. Le Tour du monde, nouveau journal des voyages, t. 2, n. s., 108 p. Chantre E., 1892. Rapport sur une mission scientifique en Arménie russe. Nouvelles archives des missions scientifiques et littéraires (…), 3: 1-48, 8 pl. Clerc P. & Price M.J., 2005. La cryptogamie aux Conservatoire et Jardin botaniques de la Ville de Genève. Saussurea, 35 : 53-72. Dizerbo A.-H., 1982. Algologues de Bretagne. Penn ar Bed, 108-109 : 3-5. Meyran O., 1912. Observations sur quelques mousses récoltées par H. Borel. Annales de la Société botanique de Lyon, 36 : 19-24. Müller J., 1891. Lichenologische Beiträge, XXXV. Flora oder Allgemeine botanische Zeitung, 74: 371-382. Rebière A., 1897. Les femmes dans la Science. Notes recueillies par (…). Paris, Nony, 361 p. Roux C., 1946. Octave Meyran (1838-1944). Doyen des botanistes Lyonnais. Bulletin mensuel de la Société linnéenne de Lyon, 15 (2) : 12-15 ; (3) : 20-23. |
Cédric Audibert
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Audibert C. & Neyton L., 2019. Note sur quelques collections cryptogamiques au musée des Confluences (Lyon) Colligo, 2(1). |