Émile Guimet et l’Égypte antique

 

Émile Guimet and the ancient Egypt

 

  • Véronique Gay

 

 


Résumé / Abstract


Le nom d’Émile Guimet (1836-1918) est attaché aux musées Guimet qu’il a fondés à Lyon et à Paris. Cet industriel lyonnais est aussi connu comme l’un des grands collectionneurs d’art asiatique de la fin du XIXe et du début du XXe siècle.

On ignore souvent que la passion de collectionneur d’Émile Guimet est née en 1865, au cours d’un voyage en Égypte. Fasciné par l'archéologie, la philosophie et l'histoire des religions orientales, le jeune industriel lyonnais commence alors une exceptionnelle collection d’antiquités égyptiennes qu’il poursuivra durant toute sa vie.

Mots clés : Émile Guimet - industriel lyonnais - collectionneur - voyage en Égypte - antiquités égyptiennes

The name of Émile Guimet (1836-1918) is attached to the Guimet museums that he founded in Lyon and Paris. This industrialist from Lyon is also known as one of the great collectors of Asian art from the end of the 19th and the beginning of the 20th century.

It is often not known that Émile Guimet's passion for collecting began in 1865, during a trip to Egypt. Fascinated by archaeology, philosophy and the history of Eastern religions, the young industrialist from Lyon then began an exceptional collection of Egyptian antiquities that he would continue throughout his life.

Keywords : Émile Guimet - industrialist from Lyon - collector - Egypt travel - Egyptian antiquities

 

 


Plan


Introduction

La famille Guimet

Le voyage en Égypte

Les visites du canal de Suez

Le musée de Boulaq

La croisière sur le Nil

Le premier musée de Fleurieu

Les musées Guimet : l’histoire des religions orientales

Un second voyage en Égypte

Le site d’Antinoé

Conclusion

Bibliographie

 


Texte intégral


 

 

« Peu à peu les figurines en terre émaillée, les dieux de bronze, les canopes d’albâtre, les stèles en calcaire, les statuettes de granit envahirent ma chambre à coucher où j’avais réuni mes souvenirs de voyage. Quelques papyrus sous verre et des copies à l’aquarelle de peintures tombales ornaient les murs. Un jour, j’achetais une momie : quelle joie ! Puis une autre. Pour gagner mon lit j’étais obligé d’enjamber les cadavres. Je changeai de chambre. » (Guimet, 1904)

 

Introduction

Le nom d’Émile Guimet (1836-1918) (Fig. 1) est attaché aux musées Guimet qu’il a fondés à Lyon et à Paris. Cet industriel lyonnais est aussi connu comme l’un des grands collectionneurs d’art asiatique de la fin du XIXe et du début du XXe siècle.

On ignore souvent que la passion de collectionneur d’Émile Guimet est née en 1865, au cours d’un voyage en Égypte. Fasciné par l'archéologie, la philosophie et l'histoire des religions orientales, le jeune industriel lyonnais commence alors une exceptionnelle collection d’antiquités égyptiennes qu’il poursuivra durant toute sa vie.

 

 

La famille Guimet

D'origine dauphinoise, son grand-père paternel, Jean, était ingénieur des Ponts-et-Chaussées, tout comme son père, Jean-Baptiste (1795-1871). Issu de l’École polytechnique, le père d’Émile Guimet invente en 1826 l'outremer artificiel mondialement connu sous le nom de « bleu Guimet ». Ce colorant remplace à moindre coût la poudre de lapis-lazuli provenant d’Afghanistan, et révolutionne ainsi l'industrie de la teinture (azurage du linge et du papier). Il achète en 1831 une ancienne demeure bourgeoise, la Maison rouge, à Fleurieu-sur-Saône, dans la banlieue lyonnaise, et l’essor rapide de son entreprise l’incite à ériger les premiers bâtiments industriels en 1848, à côté de la propriété. Cette invention qui le rend célèbre et immensément riche lui vaut quantité de prix, et, en 1855, il est fait officier de la Légion d'honneur. L’usine cesse définitivement toute activité le 30 avril 1967.

La mère d’Émile Guimet, Rosalie Bidauld (1798-1876), est issue d’une famille de peintres originaire de Carpentras. Elle a été l’élève d’Anne-Louis Girodet (1767-1824) et c’est probablement elle qui donne à son fils le goût de l'art. Vivant à quelques centaines de mètres du palais Saint-Pierre (aujourd’hui le musée des Beaux-Arts de Lyon), elle a dû l’emmener régulièrement visiter le musée, d’autant que des tableaux de son grand père Jean-Pierre Xavier Bidauld (1745-1813) y étaient alors exposés.

On sait peu de choses de la formation d’Émile Guimet, il semble qu'il ait reçut son éducation dans le milieu familial, éducation qui lui donna, avec l'habitude du travail, une grande culture tant dans le domaine des sciences que dans celui des arts, et en particulier la musique.

Convaincu de la valeur formatrice de la musique pour les classes laborieuses, il encourage la création d'orphéons, de chorales, de sociétés musicales et de festivals, ainsi que de fanfares. Il assure d'ailleurs lui-même la direction de celle des ouvriers de l'usine de Fleurieu-sur-Saône. Il compose des chansons à boire, des chansons d’amour sur des paroles de lui-même, de Molière, de Victor Hugo et d’Alfred de Musset, et, de 1889 à 1893, un opéra en cinq actes intitulé Taï Tsoung, d’après une chinoiserie écrite par Ernest d’Hervilly (1838-1911), qu’il fait jouer à Marseille en 1894.

En 1860, Émile Guimet prend les rênes de l’entreprise familiale et succède à son père à la présidence de la société jusqu’à sa mort, en 1918. Se préoccupant de l'amélioration du sort de ses ouvriers, il crée, chose novatrice pour l’époque, des fonds pour financer les accidents du travail et les retraites ouvrières, un asile au nom de sa première épouse, Lucie Sanlaville (vers 1840-1868), des associations de secours mutuels, des écoles et ouvre des cours supplémentaires. Il devient secrétaire, puis vice-président de la Société d'Instruction primaire du Rhône et administrateur de l'École de la Martinière à Lyon. Il est aussi directeur d'une autre usine à Dole (dans le Jura) et assure la présidence, en 1887, de la Compagnie des produits chimiques d'Alais et de la Camargue (devenue en 1950 le groupe Péchiney), qu’il constitue en société anonyme en 1895. Il est également l’administrateur et le président de la Compagnie de Navigation Mixte fondée à Lyon en 1850. Homme aux multiples facettes, il se décrivait ainsi :


Fig. 1. Émile Guimet.
Épreuve photographique © Collection de la famille Guimet – Photo Alain Basset

« Fils d'industriel, chef d'usine moi-même, j'avais passé ma vie en contact avec les ouvriers ; je m'étais constamment occupé de leur donner la santé de l'esprit et le bien-être du corps. Je fondais des écoles, des cours, des sociétés musicales, des associations de secours mutuels, et je constatais que les créateurs de systèmes philosophiques, les fondateurs de religions avaient eu les mêmes pensées : que Lao-tseu, Confucius,… Moïse, Platon, Jésus, Mahomet avaient, chacun à son époque, proposé des solutions sociales ». (Guimet, 1904 : III).

 

Tout comme son père, ses différentes actions lui valent de nombreuses récompenses. Décoré de divers ordres étrangers, il est membre correspondant de nombreuses sociétés savantes et académies en France et en Europe. En 1877, il est fait Chevalier de la Légion d’honneur et le 20 juillet 1895, il est promu au grade d'Officier dans l'ordre national de la Légion d'honneur.

 

Le voyage en Égypte

Emile Guimet a le goût des voyages. Après l’Espagne en 1861, il part découvrir l’Egypte durant sept semaines en 1865-1866.

Au XIXe siècle, l’Égypte est parmi les premiers pays d’Orient à s’ouvrir au progrès moderne et au tourisme. L’ouverture du canal de Suez favorise l’essor du trafic des passagers et le chemin de fer, qui réduit les déplacements, contribue ainsi fortement au développement du tourisme. Le 9 novembre 1865, Émile Guimet s’embarque à Marseille à bord du paquebot Mœris de la Compagnie des Messageries impériales à destination de l’Égypte (Fig. 2). Le journal de voyage (Fig. 3) qu’il rédige quotidiennement et publie avec quelques modifications à son retour en 1867 sous le titre Croquis égyptiens, journal d’un touriste est une source essentielle pour la connaissance de son périple et de ses impressions de voyage. Il semble qu’Émile Guimet ait noté ses impressions chaque jour et retranscrit à son retour ce journal de voyage dans deux carnets in-8°, encore en possession de la famille Guimet aujourd’hui.


Fig. 2. Paquebot Mœris (La Ciotat, 1863 – Marseille, 1890) de la Compagnie des Messageries impériales. © Droits réservés

Les touristes se rendent en général d’Alexandrie au Caire, visitent les grandes villes du delta, puis remontent le Nil jusqu’à la seconde cataracte en Nubie. Parfois des excursions sont organisées dans le désert et, dans la seconde moitié du XIXe siècle, à l’est du delta pour découvrir le canal de Suez. Les circuits touristiques organisés depuis l’Europe par l’agence Thomas Cook ne se développent qu’à partir des années 1870, après l’ouverture du canal de Suez. Le périple d’Émile Guimet s’inscrit dans la tradition des circuits de l’époque. Durant sept semaines, il visite Alexandrie et le chantier de l’isthme reliant bientôt la Méditerranée à la mer, il séjourne au Caire et découvre la Haute-Égypte et ses vestiges pharaoniques. Il quitte Alexandrie à bord du Péluse de la même compagnie maritime, le 9 janvier 1866, et accoste à Marseille après huit jours de traversée.


Fig. 3 .Journal de voyage d’Émile Guimet. © Collection de la famille Guimet – Photo Alain Basset

La publication d’Émile Guimet s’inscrit dans une pratique courante de l’époque. Toute une littérature du voyage se développe, notamment en France, avec un essor considérable à partir des années 1870. Ainsi, dans la seconde moitié du siècle, près de deux cents récits de voyage sont publiés par des Français.

 

Les visites du canal de Suez

Émile Guimet prend le train depuis Alexandrie pour Port Saïd et ensuite depuis le Caire pour Suez. Les voyageurs et les photographes européens viennent admirer ce projet phare de l'industrie et Guimet ne déroge pas à la règle. Il est très intéressé par les travaux réalisés à Port Saïd, il admire les ouvriers qui creusent le canal à l'explosif et les machines qui doivent servir à l'entretien et à l'exploitation du canal. Néanmoins, dans le manuscrit autographe, ses positions sur la question sont plus tranchées et argumentées : l’argent risque fort de manquer et les délais ne seront probablement pas tenus. Il est très critique sur le système organisationnel qu’il trouve trop hiérarchisé, et pense qu’il y a trop de petites compagnies et d’entrepreneurs qui fonctionnent en parallèle, la Cie de l’Isthme aurait dû garder le monopole total sur cette réalisation.

Malgré ce regard tourné vers la modernité, lors de sa croisière sur le Nil, il ne peut s’empêcher de regretter les locomotives et les filatures de coton qui bordent le Nil de leurs grandes cheminées :

« Pour nous qui sommes à l'affût des monuments antiques, cela gâte un peu l'illusion archéologique ; on a beau chercher à se persuader que l'on voit des machines à vapeur au temps de Sésostris ou des usines bâties par Ramsès III, le charme est détruit et si les palmiers ne venaient au secours du voyageur, il se croirait à Manchester » (Guimet, 1867 : 139).

 

Le musée de Boulaq

Durant son séjour au Caire, il visite trois fois le musée de Boulaq créé par Auguste Mariette (1821-1881). Il décrit longuement ses visites, le plaisir qu’il eut à lire le catalogue du musée qui développe les conceptions religieuses des anciens Égyptiens auxquelles Guimet accorde grand intérêt. Il s’attache aux choix muséographiques fait par le conservateur pour permettre au visiteur une meilleure approche des objets présentés et développe certains aspects des fondements de la religion égyptienne. Et il loue la prudence exemplaire dont fait preuve Mariette dans les nombreuses réserves qu’il émet. Il est à noter que certaines des vitrines qu’il a fait réaliser pour son musée qu’il fonde en 1879, reprennent la forme des vitrines du musée de Boulaq.

À la lecture des lignes écrites par Guimet, nous percevons déjà les prémices de ce que seront ses grands projets, que sa passion de collectionneur ne soit pas réservée à sa jouissance personnelle, mais que les œuvres soient exposées dans un musée, et un musée entièrement consacré à l’histoire des religions orientales :

« En 1865 j'entreprenais, comme tout le monde, un voyage de touriste en Égypte. La vue des monuments, les visites au Musée de Boulacq, la lecture du merveilleux catalogue rédigé par Mariette, attrayant même pour les profanes, attachant comme un roman, les petits objets antiques qu'on se croit obligé de rapporter, tout cela avait ouvert mon esprit aux choses des temps passés et particulièrement aux croyances encombrantes dont les symboles se déroulent en Égypte sur des kilomètres de murailles » (Guimet, 1904 : 10).

 

La croisière sur le Nil

La croisière qu’il fait sur le Nil suit les parcours traditionnels des voyageurs de l’époque. Il visite certains sites archéologiques comme les tombes rupestres de Béni Hassan qu’il décrit avec intérêt, le temple de Dendérah qu’il trouve l’un des plus beaux qui existe en Égypte. Par contre, il ne visite pas les ruines d’Abydos qu’on lui a dit être sans importance. Les premières fouilles du site d’Abydos entreprises par Auguste Mariette dès 1859, et qui ont duré 18 ans, ne commencent à être publiées qu’en 1869. Quand Guimet visite l’Égypte, le temple était déjà bien dégagé mais les travaux pas vraiment connus, ce qui peut expliquer qu'on lui ait dit qu'il n'y avait rien à voir.

Il relate avec de nombreux détails sa visite des tombeaux thébains et des temples de la rive ouest du Nil, et décrit toutes ses émotions devant les peintures funéraires de ces lieux. Les ruines grandioses du Ramesseum le font frissonner, tout comme celles du temple de Médinet Habou. Sa déception dans les temples de Louqsor et Karnak face à tant de ruines est grande et pourtant la splendeur de ce lieu formait un ensemble que je n’oublierai jamais. Il ne consacre que quelques lignes au temple d’Esna dont le style des bas-reliefs est lourd et sent un peu la décadence. Son voyage en Haute-Égypte s’achève le 24 décembre par la visite de l’île de Philae :

« L’île sans pareille, la belle Philae, la favorite des Ptolémées ! Nous l’avons vu et son souvenir nous charme encore !... La visite à l’île de Philae est un véritable pèlerinage artistique et archéologique. C’est pour ainsi dire le but de notre voyage. Elle le termine d’une manière parfaite et en fait le couronnement suprême » (Guimet, 1867 : 214).

 

Le premier musée de Fleurieu

C’est à son retour d’Égypte qu’Émile Guimet commence sa collection. Vingt-cinq ans après, il raconte avec humour la frénésie d’acquisition qui l’avait saisi :

« Je me mis à bibeloter chez les marchands, à rechercher les amulettes. Les divinités trouvées dans les tombes égyptiennes […] Peu à peu les figurines en terre émaillée, les dieux de bronze, les canopes d’albâtre, les stèles en calcaire, les statuettes de granit envahirent ma chambre à coucher où j’avais réuni mes souvenirs de voyage. Quelques papyrus sous verre et des copies à l’aquarelle de peintures tombales ornaient les murs. […] Un jour j’achetais une momie : quelle joie ! Puis une autre. Pour gagner mon lit j’étais obligé d’enjamber les cadavres. Je changeai de chambre » (Guimet, 1904 : 6).

Au début de l’année 1874, le « musée de Fleurieu » comme le nommait Émile Guimet, c’est-à-dire la maison familiale, compte déjà plus de 450 antiquités égyptiennes d’après la liste très incomplète et faite à la hâte, qu’il envoie à l’égyptologue François Chabas (1817-1882) 1. À l’attention du savant chalonnais, le jeune collectionneur fait réaliser un album photographique d’une quarantaine de ses stèles et sculptures qui permet aujourd’hui de reconnaître la plupart des monuments reproduits.

 

Les musées Guimet : l’histoire des religions orientales

Son attrait pour les musées amène Émile Guimet à en créer un dans sa ville natale. Le musée Guimet de Lyon est inauguré en présence de Jules Ferry (1832-1893), ministre de l’Instruction publique, le 30 septembre 1879. Dans le bâtiment du boulevard du Nord, deux salles du deuxième étage sont consacrées à l’Égypte antique.

Dès 1882, il songe à émigrer à Paris, là où se trouve le milieu scientifique et culturel à la hauteur de ses ambitions. Après de longs pourparlers et au terme d’une convention, il offre ses collections à l’État en 1885, les déménage en février 1888 et le nouveau musée qu’il a fait construire à l’identique du musée de Lyon, place d’Iéna, dans le quartier du Trocadéro, ouvre ses portes le 20 novembre 1889. Les quatre salles de la galerie Boissière au second étage sont consacrées à l’Égypte antique.

 

Un second voyage en Égypte

Trente ans plus tard, en 1895, Émile Guimet se rend pour la seconde et dernière fois en Égypte. Contrairement à son premier séjour, celui-ci est très peu documenté. Seules quelques lettres écrites au cours de son voyage à Léon de Milloué (1842- ?), conservateur du musée Guimet, nous permettent de retracer partiellement le circuit qu’il a suivi et les quelques personnalités rencontrées.

La mission, pour laquelle il obtient une lettre de recommandation du ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts 2, concerne la recherche de documents relatifs à l’expansion du culte d’Isis en Italie et en Égypte, mais aussi probablement pour visiter le site d’Antinoé dont on lui propose la concession des fouilles archéologiques au nom du musée.

Dans ses lettres écrites d’Égypte, Guimet mentionne succinctement ses déplacements : au Caire, où il fréquente assidûment le musée maintenant déplacé à Gizeh, la région du Fayoum et sa rencontre avec Jacques de Morgan (1857-1924), directeur intérimaire du service des Antiquités de l’Égypte, à Dahchour 3, Saqqarah, Akhmim, Antinoé et Louqsor où il doit retrouver Georges Daressy (1864-1938), égyptologue 4.

Guimet semble satisfait de son voyage car il a pu acquérir des objets pour le musée. C’est durant ce séjour qu’il apprend par une lettre de Xavier Charmes (1849-1919), haut fonctionnaire français, directeur du Secrétariat et de la Comptabilité au ministère de l’Instruction publique et des Beaux-arts, et directeur du Service des missions, sa nomination au grade d’officier de la Légion d’honneur : « J’avoue qu’au milieu de mes recherches archéologiques je pensais à bien autre chose qu’à la récompense dont vous voulez bien m’entretenir, ça a été comme un réveil et je vous suis reconnaissant des démarches que vous avez faites » 5.

 

Le site d’Antinoé

Au lendemain de sa visite sur le site d'Antinoé, et en dépit de la dévastation de ses édifices accélérée dans la seconde moitié du XIXe siècle, il fait une demande de concession de fouille. Malgré une concurrence très sérieuse, il obtient finalement la préférence. L’autorisation concerne « l’époque gréco-égyptienne » avec un engagement pour une année renouvelable. Jacques De Morgan (1857-1924), directeur du service des antiquités de l’Égypte, désigne Albert Gayet (1856-1916) pour assurer la direction des travaux. Cet élève de Gaston Maspero (1846-1916) s’est fait une spécialité de l’archéologie de l'Égypte de l'Antiquité tardive, encore très mal connue à l’époque. Il se met d’abord en demeure de répondre à la « quête isiaque » de son mécène et de rechercher des vestiges de la ville pharaonique qui a précédé la fondation impériale romaine. Mais il ne se limite pas à la zone intra muros, et s’éloigne bientôt à l’est de la ville pour partir à la découverte de plusieurs quartiers de nécropoles d’époques différentes, ouvrant ainsi la voie à ses futures explorations, très fructueuses. À l’issue de chaque campagne et après le partage avec le Service des Antiquités, le musée Guimet parisien expose le plus souvent le produit des fouilles d’Antinoé. Puis Émile Guimet préside à la répartition des pièces, en préparant les lots destinés à tel ou tel musée, sur sollicitation ou de son propre chef. Naturellement, il conserve un large choix de pièces pour les collections du musée Guimet en exerçant une sorte de droit de préemption, mais il en acquiert aussi quelques-unes à titre personnel. Enfin, Émile Guimet fait lui-même de la vulgarisation autour des fouilles d’Antinoé, par des conférences et des publications.

Émile Guimet quitte définitivement l’Égypte le 10 février 1895. Il eut pourtant l’intention de revenir en 1902, selon un échange épistolaire avec le ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts en vue de l’obtention d’un passeport diplomatique, mais sa lettre de remerciement ne mentionne plus l’Égypte comme destination, seulement la Turquie, la Grèce et l’Italie 6.

 

 

Conclusion

Toute sa vie, l’intention d’Émile Guimet a été de constituer une collection documentaire. La valeur esthétique de l’objet passait souvent en second, non qu’il se désintéressât de la beauté des œuvres mais, pour lui, la valeur première de l’objet religieux résidait dans son utilisation, sa fonction, son origine, sa place dans un ensemble. Ses acquisitions n’étaient nullement le simple fruit du hasard mais correspondaient à une démarche cohérente et constante que sa vigoureuse politique de publication renforçait.

« Le fondateur du Musée d’histoire des religions s’était proposé de créer un Musée d’idées et d’enseignement. Réunir et classer images divines et objets du culte de l’Orient ancien et moderne en vitrines bien closes, étiqueter dogmes et rituels sur les rayons d’une bibliothèque, ne lui suffisait point : son ambition était d’initier le grand public aux origines des problèmes philosophiques et religieux, d’agir sur lui par la conférence et le livre, de solliciter les recherches des savants et de les rendre accessibles à tous ceux qui sont épris d’art et de pensée religieuse » (Moret, 1921).

 

 

Bibliographie

Guimet E., 1867. Croquis égyptiens, journal d’un touriste. Paris, Hetzel, 298 p.

Guimet E., 1904. Le jubilé du musée Guimet, Vingt-cinquième anniversaire de sa fondation. 1879-1904. Paris, Leroux, I-XV, 172 p.

Moret A., 1921. Introduction. Bulletin archéologique du musée Guimet, 1.

 

 


Notes


  1. Lettre d’Émile Guimet à François Chabas, 26 février 1874 (Institut, Ms 2585, fo 111-116).

  2. Lettre d'Émile Guimet à Xavier Charmes, 15.XI.1894 (AN, F17 17293). Les documents relatifs à la demande officielle sont conservés aux Archives nationales (AN, F17 17293) ainsi qu’au musée Guimet (Archives MG, boîte 15).

  3. Émile Guimet le rencontre vraisemblablement pour la concession des fouilles d’Antinoé d’après les lettres de Jacques de Morgan à Émile Guimet (19.I.1895, 22.I.1895, 5.II.1895, 29.V.1895 et 23.X.1895, Archives MG, boîte 15).

  4. Lettre d'Émile Guimet à Léon de Milloué, 16.I.1895, lettre de Georges Daressy à Émile Guimet, 25.I.1895 (Archives MG, boîte 15).

  5. Lettre d'Émile Guimet à Xavier Charmes, datée du 20 janvier 1895 (Archives nationales, F17 17293).

  6. Lettre d'Émile Guimet au ministre de l’Instruction publique, 11.III.1902 (AN, F17 17293) ; ce dernier dossier renferme tous les documents relatifs au voyage de 1902.

 

 


Auteur


Véronique Gay
Egyptologue, attachée principale de conservation, médiatrice culturelle, Musée des beaux-arts de Lyon, Lyon, France.
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Citation


Gay V., 2022. Émile Guimet et l’Égypte antique. Colligo, 5(1). https://revue-colligo.fr/?id=74.