Marie Jacques Philippe Mouton-Fontenille de la Clotte et Jean-Emmanuel Gilibert : rivalités et rancœurs entre deux figures de la botanique lyonnaise
Marie Jacques Philippe Mouton-Fontenille de la Clotte et Jean-Emmanuel Gilibert : rivalries and resentment between two figures of the botany in Lyon
- Cédric Audibert
Constamment dans l’ombre de Jean-Emmanuel Gilibert, son « maître », Jacques Philippe Mouton-Fontenille peine à trouver la place qu’il rêve d’avoir, celle de professeur d’histoire naturelle et de directeur du cabinet d’histoire naturelle de la ville de Lyon. Passant toujours au second plan, sa relation avec lui évolue vers une jalousie et une rancœur qui se manifestent dans ses écrits privés. Lorsqu’il récupère, après vingt ans d’efforts, la direction du cabinet d’histoire naturelle de Lyon, c’est l’amertume qui domine et les collections qu’il renie sont cédées ou détruites. Habitué des pamphlets diffamatoires, outre ceux qu’il a réservé à Napoléon, « l’usurpateur », Mouton-Fontenille en a laissé deux autres inédits, l’un à destination de Gilibert, l’autre à l’encontre du cabinet d’histoire naturelle dont il a exagéré le délabrement dans lequel son prédécesseur l’avait laissé. Mots clés : Mouton-Fontenille de la Clotte - Gilibert - rivalité - cabinet d’histoire naturelle - jardin botanique - Lycée impérial - palais Saint-Pierre - période révolutionnaire - premier Empire - première Restauration - Lyon Constantly in the shadow of Jean-Emmanuel Gilibert, his "master", Jacques Philippe Mouton-Fontenille struggles to find the place he dreams of having, that of professor of natural history and director of the natural history cabinet of the city of Lyon. Always moving into the background, his relationship with him evolves towards a jealousy and resentment that manifests itself in his private writings. When, after twenty years of effort, he regains the management of the natural history cabinet of Lyon, bitterness dominates and the collections he disavows are given away or destroyed. Accustomed to defamatory pamphlets, in addition to those he reserved for Napoleon, the "usurper", Mouton-Fontenille left two others unpublished, one intended for Gilibert, the other against the natural history cabinet, whose decay he exaggerated the way his predecessor had left it. Keywords: Mouton-Fontenille de la Clotte - Gilibert - antagonism - natural history cabinet - Lyon's botanical garden - imperial high school - Saint-Pierre palace - revolutionary period (French Revolution) - First Empire - First Restoration - Lyon |
1ère partie : biographie de Mouton-Fontenille
Origine de la famille Mouton-Fontenille
Marie Jacques Philippe Mouton-Fontenille de la Clotte
Carrière professionnelle et services rendus à la France
Mouton-Fontenille, le pamphlétaire
Le royaliste en quête de reconnaissance
2ème partie : les relations Gilibert – Mouton-Fontenille
Les débuts de la relation Gilibert – Mouton-Fontenille
Les infortunes de Mouton-Fontenille
La revanche et le Musée de l’Académie
3ème partie : Mouton-Fontenille et le musée d’histoire naturelle
Prise en charge de l’ancien cabinet
Ouverture du musée et fin de règne
Les collections du cabinet sous Mouton-Fontenille
Les collections acquises de Mouton-Fontenille
Les autres collections entrées sous Mouton-Fontenille
Notre propos n’est pas de donner une biographie complète de Mouton-Fontenille. La notice de Meyran (1937) a bien décrit ses découvertes, ses apports à la botanique et à l’écologie des plantes ; nous ne reviendrons que brièvement sur l’homme taxidermiste et ses herbiers d’oiseaux qui sont également bien connus (Dusoulier, 2012). Il n’est pas non plus dans notre objectif de relater les manuscrits inédits qu’il a laissés. Ceux-ci sont d’un accès facile et sont référencés depuis longtemps (Roux, 1908). C’est sur des aspects moins connus du personnage que nous nous sommes penché, en partant de l’hypothèse d’une jalousie entretenue envers Jean-Emmanuel Gilibert (1741-1814), ancien conservateur du cabinet d’histoire naturelle de la ville de Lyon, et peut-être d’une inimitié entre les deux hommes, qui aurait pu expliquer en partie le délaissement du muséum lorsqu’il en prit la direction. Enfin, cet article nous donnait l’occasion de faire le point sur les collections rassemblées par Mouton-Fontenille dans l’ancien cabinet d’histoire naturelle, à l’origine du muséum de Lyon, et dont aucun spécimen ou échantillon n’avait été identifié jusqu’à ces dernières années. Outre la presse lyonnaise dont une partie est accessible via www.numelyo.bm-lyon.fr, nous avons exploité de nombreux documents d’archives dont beaucoup sont difficilement accessibles car se trouvant « noyés » dans des liasses non classées et non décrites, notamment aux Archives municipales de Lyon. Il a fallu trier, lire, annoter plusieurs milliers d’écrits, les référencer dans un tableau chronologique, en résumant chaque document avec les principaux événements, en relevant les noms des personnes citées et les dates rencontrées. Ont également été exploités les actes d’état civil, les recensements et différentes séries disponibles aux Archives municipales (AML), départementales (AD) et nationales (AN). Enfin, les archives déposées à l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Lyon (AL), au centre Louis Lortet (CCEC), à la bibliothèque municipale de Lyon (BML) et au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) ont également été consultées avec succès. Il n’y a pas d’archives relatives à Mouton-Fontenille et à Gilibert à la Société linnéenne de Lyon. Les collections botaniques de Mouton-Fontenille et de Gilibert sont présentes en divers lieux (Jardin botanique de Lyon, Université Claude Bernard-Lyon 1 et Société linnéenne de Lyon). Il n’est pas nécessaire d’y revenir. Les collections zoologiques et géologiques de Mouton-Fontenille jusqu’alors inconnues ont été recherchées dans les collections de l’ancien muséum d’histoire naturelle de Lyon (devenu musée des Confluences) et conservées au Centre Louis Lortet. Ces recherches d’objets ont été menées en croisant : AD : Archives départementales du Rhône, Lyon AL : Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Lyon AML : Archives municipales de Lyon AN : Archives nationales, Paris & Pierrefitte-sur-Seine BML : Bibliothèque municipale de Lyon CCEC : Centre de conservation et d’étude des collections, Lyon (devenu Centre Louis Lortet en 2019) MNHN : Muséum national d’histoire naturelle, Paris (bibliothèque centrale) |
1ère partie : biographie de Mouton-Fontenille Origine de la famille Mouton-Fontenille Jacques Philippe Mouton-Fontenille est issu d’une très riche famille à l’origine protestante 1, la famille Mouton. Barthélémi (1991, 1993 et 2003) a consacré trois articles à cette famille d’exception, dont l’un intitulé « Du négoce à la robe » relate l’accession à la noblesse par l’achat d’une charge de secrétaire du roi 2, en 1725, puis d'une autre de conseiller à la Cour des comptes en 1742 (ou 1743) et d'une troisième de président à la Cour des comptes (1776), ainsi que par des mariages judicieux ; nous reprenons les principaux éléments des faits relatés : « Originaire du Dauphiné, Jean Mouton s’installe à Montpellier à la fin du XVIe siècle ; c’est un simple « pastissier » ne sachant signer. En 1609, il achète une auberge « le logis du Mouton d’Or » qui devient prospère lorsque son fils Jean prit la suite ; celui-ci prête l’argent qu’il a accumulé. Pierre, fils de Jean, se tourne vers la négoce mais prête peu ; il est marchand drapier. C’est son fils Jean qui développe le commerce et lui donne une envergure internationale, associant à l’activité de négoce, une activité bancaire très importante. En 1725, il achète une charge de secrétaire du roi et a le titre d’écuyer ; la famille fait désormais partie de la nouvelle noblesse. Le nom de La Clotte vient du château qu’il acquière sur la commune de Salinelles, dans le Gard, avant d’acheter un autre château plus important, le château d’Assas. » Il est intéressant de noter parmi les alliances qui ont eu lieu, celle de Marguerite Mouton, fille de Jean, avec Joseph Philibert de Belleval, un descendant de Martin Richer de Belleval, qui était le neveu du fondateur à Montpellier du tout premier jardin botanique en France en 1595. Peut-être trouvera-t-on là l’origine du penchant de Mouton-Fontenille pour cette discipline. Mais l’ascension sociale fulgurante, de génération en génération, de charge en charge, d’alliance en alliance, est stoppée nette à la Révolution ; la famille est ruinée, notamment à la suite de la suppression de la Cour des comptes et des droits féodaux (Barthélémi, 1991). La famille Mouton-Fontenille est répertoriée dans le Grand Armorial (Jougla de Morenas, 1948 : 131, n°24.699) en faisant état des différents titres obtenus par ses membres : « Conseiller-maître en la Chambre des comptes de Montpellier en 1743, président en 1776, seigneur de la Clotte, d’Assas, St-Vincent. Comparant à Montpellier en 1789. Les armes sont décrites en ces termes : d’azur au mouton d’or. ». Elle est également citée dans De la Roque & Barthélémy (1865 : 18) : « Jean-Jacques Mouton de la Clotte, Sgr de la Clotte, Assas et Saint-Vincent, chevalier, conseiller du Roi en ses conseils, président en la cour des comptes, aides et finances ». Outre les armes « d’azur au mouton d’or » (ultérieurement remplacé par une croix d’or 3), en hommage à l’origine de la fortune des Mouton, il faut citer la devise familiale : « Cunctis prodesse ac nocere nemini » (Chassant & Tausin, 1878 : 428), que l’on pourrait traduire par « être au service de tous, et plus encore nuire à personne ». Elle est tirée d’un vers d’Heinrich Glaréan (1488-1563) : « Hic scopus unus erat, cunctis prodesse / Nemini, amare bonos & tolerare malos », en ajoutant la conjonction ac (atque) pour marquer l’opposition et l’enchérissement. Marie Jacques Philippe Mouton-Fontenille de la Clotte 4 La famille Mouton-Fontenille est toujours ancrée à Montpellier lorsque paraît Marie Jacques Philippe Mouton-Fontenille de la Clotte le 7 septembre 1769. Il est baptisé à la paroisse Notre-Dame-des-Tables avec comme parrain ses frère et sœur, Jacques Philippe St-Vincent dit Buzarin et Jeanne Marie Catherine de la Clotte 5 (Fig. 1).
Son père était Jacques Mouton (1721-1792), conseiller à la Cour des comptes, qui a demeuré à Lyon, rue de la Convention et y est mort au début de la Révolution. Sa mère, Jeanne Marie Gilette de Serres de Mesplès (1728-1800) 6 était fille de Jean André de Serres de Mesplès, président à la Cour des comptes, aides et finances (Barthélémi, 1993). Jacques Mouton et Gilette de Serres eurent au moins onze enfants (Barthélémi, 1993 : 22) parmi lesquels Jean-Jacques, président à la Cour des comptes, Joseph Philibert, conseiller au présidial, Jeanne Suzanne Marie Gilette dite St-Vincent, cette dernière mariée à Jean Pierre Antoine Aurès, également président à la Cour des comptes 7 et Marie Jacques Philippe, l’avant-dernier-né. On le trouvera sous le nom de « Mouton », « Mouton-Fontenille », « Mouton de Fontenille ». Dans la sphère privée, il se faisait appeler par son nom de terre ; ainsi son cousin, Marcel de Serres de Mesplès (1780-1862), dans une lettre très familière, l’appelait « mon cher Fontenille » 8. Durant la Révolution où il était peu recommandé de s’afficher avec un nom aussi suspect, il avait discrètement gommé toute trace d’appartenance à la noblesse en se faisant appeler simplement « Jean Mouton » 9 ; il signait alors tantôt « Jean Mouton » 10, tantôt « Marie Jacques Philippe Mouton » 11, 12, au point qu’il dût démontrer, lorsqu’il fut ajouté à la liste des émigrés durant la Terreur, que les deux personnages ne faisaient qu’un (tout comme son frère Joseph Philibert Mouton qui se faisait aussi appeler « Argile-Mouton »). Après les heures troublées de la Révolution, il reprendra son nom complet et signera toujours « Mouton-Fontenille », « Mouton-Fontenille de la Clotte » ou « Mouton-Fontenille de Laclotte ». Il a deux écritures, l’une italique, l’autre ronde et empâtée, facilement reconnaissable et assez rare même à son époque. Il avait semble-t-il adopté le même style d’écriture que son père (Figs. 2 et 3).
S’il effectua sa scolarité à Montpellier, on sait qu’il arrive à Lyon durant la Révolution avec une partie de sa famille, dans des conditions que nous ignorons. Durant la Terreur, il se retrouve très vite inquiété, son nom ayant été ajouté à la liste des émigrés, en même temps que son frère Joseph Philibert ; outre la spoliation de tous leurs biens, les prévenus d’immigration risquaient la peine de mort. Grâce à des certificats de résidence établis en la présence de neuf témoins, avec un visa par la commune, un autre par le district et un troisième par le directoire du département, les pétitionnaires pouvaient cependant espérer être radiés de ces listes. C’est ce qui arriva heureusement aux deux frères Mouton 13. On apprend d’après les certificats de résidence et les certificats de l’affiche du certificat de résidence, qu’il a vécu avec son frère Joseph Philibert 14 dans une maison appartenant au Cn Baraud, au 119 15 rue de la Convention (canton de la Convention), du 1er janvier 1792 au 19 mai 1793 puis dans une maison (Vve Sarcelle) à « Germain-au-Mondor » 16, du 19 mai au 6 août 1793 17,18. Muni d’un passeport, il part le 7 août pour Montpellier où il demeure du 12 au 16 19, 20. De retour à « Germain-au-Mondor », il y reste du 20 août 1793 au 27 vendémiaire an II (18 octobre 1793) 21, 22, puis déménage temporairement, du 28 vendémiaire au 12 germinal (1er avril 1794) 23, au 54 rue des Bouchers 24, dans le « canton Marat » (maison du Cn Venteu) à Lyon devenue « Commune-Affranchie ». Le 12 germinal, il part pour Grenoble muni de son passeport obtenu dix jours auparavant 25avec la qualité « d’officier de santé » ; il y séjournera du 15 au 28 du même mois, avant de revenir à [Saint-]Germain-au-Mont d’Or où il résidera du 6 floréal (25 avril) au 19 messidor (7 juillet) 26. Le 20 messidor an II, il est recruté comme employé en qualité de pharmacien et de botaniste à l’hôpital militaire de Grenoble 27. Il revient en région lyonnaise pour se marier à Bagnols, près de Chessy, le 12 fructidor an II (28 août 1794) avec Jeanne Monnier (ou Mosnier, Mônier) 28, marchande de mode, fille de Jean Marie Monnier et de Jeanne Dumas 29. Sur cet acte, il est domicilié à Commune affranchie. De manière très étonnante, il a entièrement été rédigé par Mouton-Fontenille lui-même et non par l’officier public qui a seulement apposé sa signature (Fig. 4).
Après ce mariage réalisé dans une période de trouble extrême, il a sans doute rejoint Grenoble, puisque d’après Magnin (1906), il y est resté trois ans, soit jusque vers l’an V de la République, lui donnant l’opportunité d’herboriser dans le département isérois. En l’an V, on apprend qu’il est de nouveau à Lyon puisqu’il développe son projet de voyage dans les Alpes en adressant sa requête à l’administration du département du Rhône 30. En l’an VI, il demeure au 115 rue Pizay puisque son Analyse du système sexuel de Linnæus est publié à Lyon, « chez l’auteur » avec cette adresse (Mouton-Fontenille, 1798). A partir de 1808, les recensements fiscaux (AML) nous permettent de le suivre et d’en savoir plus sur la composition de sa famille. Il a demeuré à Lyon, au 89 quai des Célestins, dans un quatre-pièces au deuxième étage où il vivait avec sa femme et un neveu (au moins depuis 1808) 31. Sa profession est « rentier », il a une domestique jusqu’en 1809. A noter que son voisin du dessous était Antoine Gabriel Jars (1774-1857), maire de Lyon, député et propriétaire des mines de Chessy. Suite à sa nomination de professeur d’histoire naturelle au Lycée impérial en 1810 32, Mouton-Fontenille occupe en 1812 un logement de fonction, place du Lycée 33 (un quatre-pièces au deuxième étage), toujours avec sa femme et son neveu. Il y est encore en 1817 34 ; fait intéressant, un an plus tôt, il est appelé « ci-devant attaché à l’Académie » et non plus « professeur » par l’agent de recensement ! Ecarté de son poste au Lycée, il déménage avec sa femme, et se retrouve au 38 puis 40 rue Gentil 35, dans un trois-pièces au premier étage où il ouvrira un cours particulier de botanique. A partir de 1833, il est noté « rentier », et non plus « professeur » ; il restera à cette adresse jusqu’à son décès. Puis sa veuve, désignée comme rentière, y demeure seule 36, avec la mention : « peu fortunée » (1839) ou « peu aisée » (1843 et 1844). En dehors de ces éléments, on sait très peu de choses de la vie intime de Marie Jacques Philippe. Il n’apparaît pas avoir eu de descendance et le nom de famille n’a semble-t-il pas survécu à la Révolution. Aucun portrait de lui n’est connu mais quelques éléments de description peuvent être donnés : il mesurait « cinq pieds un pouce » (soit 1,65 m environ) avec les cheveux et les sourcils « châtain », les yeux « gris bleu », le visage « long gravé » et le menton « pointu » 37. La précision « visage long & gravé de la petite vérole » est précisé dans un autre document 38. Mouton-Fontenille est décédé à Lyon le 22 août 1837 39 (Fig. 5).
Carrière professionnelle et services rendus à la France On sait que Mouton-Fontenille fut engagé volontaire dans l’armée des Pyrénées, peut-être au même régiment que son frère ainé. Durant le siège de Lyon, il est chef des pompiers au poste de l’hôtel de ville. Bittard des Portes (1906) relate les faits suivants qui montrent que Mouton-Fontenille se trouvait au plus près de l’action : « Pompiers et gendarmes accourent en toute hâte, traînant des pompes à incendie. Lorsque M. Mouton de Fontenille et sa petite troupe arrivent avec leur matériel dans la rue Mercure (…), ils sont arrêtés par des tourbillons de flammes. Six maisons sont embrasées (…). Les bombes continuent à tomber et à éclater, au milieu des cris d’épouvante des malheureux habitants ». Ces actes de bravoure lui vaudront d’être décoré de la fleur de Lys avec l’appui du comte de Précy 40 ; cette décoration lui sera remise par le comte de Noailles, commissaire extraordinaire dans la 19e division, c’est-à-dire celle de Lyon. Il fait sa carrière comme professeur de botanique et d’histoire naturelle à la faculté des Sciences et au lycée impérial dès 1810, puis comme directeur du Jardin botanique et du cabinet d’histoire naturelle de la ville de Lyon, à partir de 1816. Il y restera jusqu’à sa retraite en 1830. C’est la consécration de toute une vie. Il s’intéresse à trois domaines principaux : la botanique, l’ornithologie et la minéralogie. Secrétaire perpétuel de la Société royale d’Agriculture de Lyon, Mouton-Fontenille a laissé de très nombreuses traces de son activité (BML ; Sansot, 1985) qui ne seront pas développées ici. Mouton-Fontenille a herborisé sur plusieurs décennies, principalement en région montpelliéraine, lyonnaise et grenobloise, mais également dans les Alpes et dans les Pyrénées. On relate qu’à peine arrivé à Lyon en 1792, il y fait déjà une belle découverte d’Isopyrum thalictroides, signalée dans l’ouvrage de Gilibert (1798). Comme tout naturaliste, il a le goût des voyages. En 1817, il tente d’obtenir des fonds pour une expédition zoologique en « Louisiane » qui devait lui permettre de rapporter des plantes et des animaux de toutes sortes (mammifères, oiseaux, serpents, poissons, insectes, etc.) pour le compte du musée. Son projet 41 devait l’emmener des monts Appalaches jusqu’à la Guyane, en passant par l’Illinois, les bords du Missouri 42 et les plaines du Mexique (Grognier, 1818 : 134-137). Le point de départ de cette idée réside sans doute dans le fait que l’une de ses sœurs habite en Louisiane depuis plusieurs années 43. Faute de pouvoir être missionné dans une période financière difficile, il a l’idée de lancer une souscription auprès du plus grand nombre (60 souscriptions à 200 f.), une partie des spécimens devant servir à rétribuer les souscripteurs. Un projet (prospectus) avec bon de souscription est présenté à la Société royale d’Agriculture de Lyon (Fig. 6).
Ce projet d’expédition en « Louisiane », tous frais payés, ne se concrétise pas, sans doute par manque de souscripteurs. Son désir de voyager n’est pas nouveau : durant la Convention déjà, en l’an V, il écrivait aux administrations centrales des départements du Rhône et de l’Isère, pour obtenir l’aide nécessaire afin de « parcourir l’étendue de [leur] département, ainsi que celui du Montblanc et des Hautes-Alpes. Le but de [ce] voyage est le progrès de la Botanique et de l’histoire naturelle (…) » 44. Et en l’an VII, il présenta à la Société d’Agriculture un compte rendu de son excursion au mont Pilat dont il existe deux manuscrits 45. Mouton-Fontenille est l’auteur d’une série d’ouvrages dont la liste est donnée par Hoefer (1871), Magnin (1906, 1907) et Barale (2017) auxquels on se référera. Il a aussi laissé plusieurs manuscrits, consultables à la bibliothèque municipale de Lyon (fonds de la Société royale d’Agriculture de Lyon 46), aux Archives nationales et à l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Lyon. La liste est donnée par Roux (1908). Mouton-Fontenille a lui-même dressé la liste de ses mémoires tant publiés que manuscrits 47. Il a consacré une grande partie de sa vie à étudier les systèmes de classification et à établir des tables synonymiques des noms proposés par les différents auteurs anciens ou qui lui étaient contemporains. Il a établi ainsi de nombreuses tables de correspondance dont l’aboutissement est son fameux Pinax des plantes européennes, entamé dès 1793 (prospectus d’un nouveau Pinax, in Mouton-Fontenille, 1809b) et achevé sous le règne de Charles X. Dans ses herbiers, une attention importante était accordée au travail de nomenclature et de synonymie, ce qui lui permettait de mettre en pratique son Pinax en écrivant les noms des plantes avec une « synonymie très-exacte » (Ibid.). Mouton-Fontenille est connu pour ses découvertes botaniques dans les Alpes ou au Pilat, et pour être le premier à avoir établi un lien entre la nature du sol et la végétation (voir Meyran, 1937). L’ornithologie est sa deuxième vocation. Mouton-Fontenille élève la taxidermie des oiseaux au niveau artistique où l’observation naturaliste est indispensable à la bonne représentation de l’animal : il explique au maire que l’empaillage des oiseaux est un « travail [qu’il a] soumis à des principes nouveaux, et qui constitue aujourd’hui, véritablement un art » 48 (terme souligné dans la lettre) ; c’est l’oiseau vivant qui sert de modèle à l’oiseau empaillé, comme il l’explique dans son ouvrage L’Art d’empailler les oiseaux (Fig. 7) : « On peut comparer l’Artiste qui monte un oiseau, à un peintre qui fait un portrait. L’un et l’autre cherchent à imiter la nature ; et sans la ressemblance parfaite entre l’original et la copie, leur travail est défectueux » (Mouton-Fontenille, 1811b). Et plus loin : « Un peintre pourrait-il se flatter de saisir la ressemblance d’une personne qu’il n’a jamais vue ? », justifiant de la nécessité d’observer finement les postures et les attitudes des oiseaux, une pratique qu’il a exercée durant 25 ans et à différentes périodes de l’année. L’analogie de la taxidermie en tant qu’art avec la peinture est parfaite, la première étant vue à l’instar de la seconde comme un moyen de représentation de la nature, avec cette responsabilité supplémentaire que la taxidermie peut servir de modèle aux dessinateurs, aux peintres et aux étudiants des Beaux-Arts ; en mettant à la disposition des illustrateurs, de mauvais modèles, on obtient de mauvais ouvrages, telle est la pensée de Mouton-Fontenille.
Il est aussi connu pour ses herbiers d’oiseaux, fruit de sa collaboration avec le botaniste Jacques Marie Hénon 49. Cette méthode considérée comme innovante à maints égards fut présentée à l’Athénée (ex Académie royale des Sciences de Lyon) en la séance du 13 pluviôse an IX (2 février 1801) 50. Il s’est aussi intéressé à la taxidermie d’autres animaux, les mammifères bien sûr, mais aussi les insectes au sujet desquels il a écrit un mémoire sur la manière de les chasser, de les préparer et de les conserver (Grognier, 1817 : 64) 51. A noter également un manuscrit qui a peut-être été perdu mais qui est cité par lui et qui concerne l’utilisation des insectes dans les arts décoratifs : « L’auteur [parlant de lui-même] qui s’est servi des différentes parties du corps des insectes pour en faire des tableaux d’ornement, des vases, des chiffres, des pyramides, des étoiles, des armoiries, &c. donne des détails curieux et nouveaux sur l’emploi qu’on peut faire de ces animaux. Il a eu l’honneur d’offrir à S. a. R. Madame, un tableau représentant les armes de France, avec ces mots Vive le Roi » 52. En dehors de l’ornithologie, il s’intéresse à toute la faune : vertébrés mais aussi invertébrés (vers, insectes, coquilles), sans doute sous l’impulsion de Sionet qui l’a accompagné au Pilat dans un voyage naturaliste pluridisciplinaire. Il collectionnait les coquilles et l’Helix fontenillii a été nommé en son honneur par Gaspard Michaud en 1829. Il a laissé différentes notes ou manuscrits sur la pyrale, la chenille processionnaire et sur quelques mammifères dont la marmotte, la fouine, le hérisson et le porc-épic. S’intéressant aux animaux utiles, tout comme Gilibert, il a établi des catalogues d’espèces pour la statistique départementale. Il dénombrait ainsi 166 espèces ou variétés d’oiseaux et 28 de mammifères 53 pour le département du Rhône. On notera dans ces listes, l’outarde canepetière, le loup, la loutre, la genette, le muscardin et bien d’autres. En naturaliste complet, les minéraux et les roches font également partie de ses objets d’étude, récoltant de gros échantillons extraits des carrières des environs de Lyon, remarquant combien la minéralogie pouvait avoir d’intérêt pour la botanique. C’est une autre vocation de Mouton-Fontenille qu’il conservera toute sa vie ; il aime partager ses connaissances avec le public, et l’instruire de leçons d’histoire naturelle. Voici un état non exhaustif des cours qu’il a organisés. Il y a d’abord les cours (publics et gratuits) dispensés en tant que professeur à la Faculté des Sciences, au Lycée impérial puis au muséum de Lyon. Nommé professeur au Lycée impérial en 1810, il inaugure son cours d’histoire naturelle le 9 mai 1810. La même année, il ouvre un cours de botanique, le 14 novembre 1810, les lundi, mercredi et samedi 54 et le conservera quelques années, jusqu’à la chute de l’Empire. Se plaignant d’avoir à acheter lui-même, sur les marchés ou chez les jardiniers fleuristes, les plantes nécessaires à son cours, il demanda en 1813 à ce que le cours fût déplacé au Jardin des plantes 55. En 1814, il ouvre un cours à la Faculté des Sciences à raison de trois leçons par semaine, les lundi, mercredi et vendredi 56. Il s’agit sans doute d’un cours d’histoire naturelle, faisant le pendant aux diverses disciplines (physique, chimie, mathématiques pures et mathématiques appliquées) enseignées par les autres professeurs du Lycée. En 1816, devenu conservateur du cabinet et professeur, il se propose d’enseigner, « dans des cours publics ou dans des instructions particulières », tout ce qui se rapporte au classement, à la dénomination, à la préparation et à la taxidermie des objets d’histoire naturelle 57 ; en plus de ce cours très proche de ses centres d’intérêts, il propose un cours d’histoire naturelle l’hiver, un autre de botanique l’été. Sa lettre au maire ne recevra pas de réponse. En 1817, il formule une nouvelle demande en faveur d’un cours d’ornithologie à partir de décembre, ce qui lui sera refusé 58. Il renouvelle une fois encore sa demande pour organiser un cours d’histoire naturelle de décembre à février à compter de 1818 59. En 1818, il professe dans les bâtiments du Jardin botanique de la Déserte en lien avec l’école royale de dessin et des beaux-arts au palais Saint-Pierre, ceci dans l’attente de l’aménagement de salles destinées aux cours et du rapatriement du cabinet ; le cours d’histoire naturelle était proposé du 1er décembre au 30 juin 60, aux mêmes jours d’ouverture du cabinet, soit les jeudi et lundi de chaque semaine 61. En 1819, il ouvre un cours d’histoire naturelle « public et gratuit » au palais Saint-Pierre, l’année même où le cabinet était retransféré depuis la Déserte : « Son discours a été très applaudi (…) l’auditoire était nombreux et ses leçons pleines d’intérêt » 62 ; ouvert les lundi et jeudi 63. En 1826, Mouton-Fontenille ouvre un cours d’histoire naturelle, consacré à l’ornithologie, les lundi et jeudi de chaque semaine 64. Ce cours a lieu au palais Saint-Pierre. A la réouverture du musée en 1827, un cours [d’histoire naturelle] au palais Saint-Pierre est dispensé, chaque jeudi de onze heures du matin à deux heures de l’après-midi 65, jour d’ouverture du cabinet. Il y a enfin les cours particuliers de botanique ou d’histoire naturelle, dispensés depuis son domicile, 38/40 rue Gentil (« au premier étage, la porte à gauche » 66). On trouve quelques annonces de ces cours dans la presse locale : Pour l’année 1828, un cours particulier de botanique est ouvert le 15 avril 1828, « composé de 24 leçons en ville et de 8 herborisations à la campagne » 67. Pour l’année 1830, un cours particulier de botanique s’ouvre le 6 avril 1830, « composé de 24 leçons en ville, [et] de 8 herborisations à la campagne ». Il est précisé que les leçons sont dispensées les mardi, jeudi et samedi de chaque semaine et que les personnes des deux sexes y sont invitées 68. Pour l’année 1831, un cours est ouvert le 18 avril 1831 avec des leçons « de botanique, de minéralogie et de géologie du département du Rhône » 69. Mouton-Fontenille est connu pour son caractère ombrageux. Il y a d’abord une série d’échanges à la suite de son Traité élémentaire d’ornithologie qui lui vaut des accusations de plagiat. Il est âprement attaqué par Louis-Aimé Martin (1782-1847), un écrivain d’origine lyonnaise dans les colonnes du Moniteur universel : « Je prierai d’abord M. Mouton-Fontenille de s’interroger sincèrement et de se demander si l’on peut se dire auteur d’un livre pour avoir fait coudre ensemble (…) 20 pages de Buffon, 100 de Linnée, 10 de Virey, 3 ou 4 des Lettres de Sophie, et enfin, quelques lignes de Belon, Aldrovande, Jonston, Levaillant, Brisson, etc., etc. Lorsque M. Mouton-Fontenille aura répondu affirmativement à ma question, je parlerai du Traité d’ornithologie comme s’il en était l’auteur ; en attendant il me sera permis de le mettre dans la classe des compilations, et de celles encore faites avec peu de soin. Tant il est vrai qu’il est bien difficile de faire un bon ouvrage même avec les ouvrages d’autrui » 70. Martin poursuit avec une analyse du Traité qui est très défavorable à son auteur, l’attaquant sur le fonds, sur le style et sur le contenu dont ces extraits cinglants : « M. Mouton-Fontenille assure avec une espèce d’orgueil, qu’en confrontant son ouvrage avec celui de Linné, on reconnaîtra la différence qui existe entre sa manière de philosopher et la sienne. N’était-il pas bien inutile de dire une chose qui saute aux yeux des lecteurs. M. Fontenille ne sait pas philosopher comme Linné, la chose est claire » (Ibid) ; « Notre auteur (…) déclare naïvement qu’il n’a point lu les ouvrages de Latham. (…) C’est à-peu-près comme si un poëte s’accusait de n’avoir pas lu Virgile » (Ibid) ; « Quant au style, M. Mouton Fontenille a su se mettre à l’abri de la critique. Il m’est impossible de le juger. Son livre offre peu de passages qui soient nouveaux » (Ibid). A la virulence d’une telle critique, Mouton-Fontenille se devait d’y répondre avec de longs développements, un ouvrage entier en fait : Réponse à M. Louis-Aimé Martin », imprimé à Lyon ; il fait 64 pages (Mouton-Fontenille, 1812). Après une démonstration excessivement détaillée, il s’interroge sur les intentions de l’homme littéraire à son endroit, et ne se prive pas de l’attaquer directement : « Quel lourd esprit malin a pu engager M. L. A. M. [Louis-Aimé Martin] à violer à mon égard toutes les lois de la politesse pour censurer avec tant de fiel, et mon ouvrage et ma personne ? » et plus loin : « Le rôle épineux de critique exige une foule de connaissances et qualités qui ne paraissent pas être l’apanage de M. L. A. M., et on peut lui appliquer très à propos ce vers de La Fontaine : A l’œuvre, on connaît l’artisan » (Ibid.). Enfin, il lui renvoie ses accusations de plagiat en l’accusant à son tour d’être un « prête-nom » qui a « mis en œuvre des matériaux qui lui ont été fournis par une main étrangère ». Un an plus tard, blessé par une nouvelle critique de J. Virey, un des auteurs plagiés selon Martin, il lui répond en faisant la démonstration qu’il n’y avait point eu plagiat et que seuls « quelques détails » avaient été empruntés, ajoutant que l’auteur ‘Virey’ ne figurait nulle part ; il conclut : « Pourvu que je détrompe mon public, il m’importe peu de détromper mon accusateur » 71 en écho à la première critique de Martin qui disait : « Il me sera plus difficile de détromper l’auteur lui-même » 72. Virey répond dans le même journal que « [Mouton-Fontenille] a trop bien copié une partie du grand article Oiseau, pour n’avoir pas vu à la page 156, tome XVI, ma signature » 73. L’affaire s’arrêta là. Il y a ensuite une série de vifs échanges par voie de presse au sujet d’un zèbre 74 monté par Jean-Baptiste Decreuze dont il aurait soustrait les organes génitaux au moment de la taxidermie ; l’incident est assez anecdotique mais il montre un Mouton-Fontenille piqué au vif et soucieux de sa réputation ; sa réponse au journal Le Précurseur, acerbe, commence par ces mots : « Si les individus qui font le triste métier de critiques … » et se termine non moins violemment : « … que le fait dont on m’accuse est dénué de vérité (…) qu’il a été inventé par la malignité seule, et qu’il ne peut être accueilli que par la malveillance » 75. La Rédaction, plus posée, lui répond que « (lorsqu’on) est professeur, on ne doit jamais se fâcher de la critique. Un savant doit être accoutumé à en supporter les traits, et savoir quel est le droit pour lui et contre lui ». On peut ajouter les relations tumultueuses avec le même Decreuze, dans une lettre de celui-ci adressé aux membres du jury du cabinet d’histoire naturelle : « M’ayant assurée depuis longtemps la place de préparateur au Cabinet de la ville, et pour récompenser (soit disant) de ses démarches à mon égard, il exigeoit beaucoup de services et de travaille à tout bénéfice, il jouissoit de mon entier confiance et je contoit tout sur lui, puisqu’il me disoit, (et avec raison) qu’il lui étoit impossible de pouvoir fair tout les ouvrages qui ce présenteroit au Cabinet seul et qu’il ne connoissoit personne que moi capable de le satisfaire à cette égard, mais au moment où il me promettoit ma nomination, il c’est fait nommer lui-même, et lorsque je lui en fait le juste reproche, il m’a traitée d’insolent et autres injures, et m’a dit que jamais je ne referoit rien pour le cabinet. » 76. Mouton-Fontenille, le pamphlétaire Mouton-Fontenille est l’auteur de deux pamphlets contre Bonaparte et l’Empire (Mouton-Fontenille, 1815a ; 1815b), dont la teneur d’une grande virulence a été sans doute exacerbée par sa mise à pied de l’université impériale en 1815. Il semble en effet que l’Académie ait révoqué tous ses fonctionnaires qui n’auraient pas prêté serment sous huit jours à l’empereur. Cet épisode est relaté (p. 55) dans son premier pamphlet « La France en convulsion pendant la seconde usurpation de Buonaparte » (Mouton-Fontenille, 1815a). Refusant de signer ce serment (voir plus loin), Mouton-Fontenille est destitué. C’est vers le roi Louis XVIII dont il a juré d’être fidèle qu’il se tourne alors, en lui adressant une lettre ouverte à la suite de son opuscule : « Sire, les membres de l’Académie et les professeurs du Collège royal de Lyon, qui sont restés fidèles à Votre Majesté, s’empressent de déposer au pied du trône l’hommage de leur respect et de leur inviolable attachement pour votre personne sacrée. (…) ils ont refusé le serment, et rejeté avec horreur l’acte additionnel qui tendait à exclure à perpétuité votre auguste Famille de l’héritage de ses pères » (Ibid.). Il est ici fait référence au dernier article de l’acte additionnel aux constitutions de l’Empire datant du 22 avril 1815 et visant à exclure le retour de la monarchie des Bourbons. Une pétition de la part des professeurs du « Collège royal de Lyon » est adressée au roi Louis XVIII. Parmi les onze signataires, Mouton-Fontenille de Laclotte y figure en tant que professeur de la Faculté des Sciences 77. Relevons tout d’abord que le pamphlet anti-napoléonien est un exercice courant dans les années 1814-1815 78 à la suite de l’abdication de l’empereur et de sa tentative de revenir après son exil à l’île d’Elbe. Celui de Mouton-Fontenille est imprimé chez Jean-Marie Boursy (1773-1837), un Républicain, anti-royaliste et probablement anti-bonapartiste, qui avait fait imprimer l’Histoire secrète du cabinet de Bonaparte, ouvrage saisi sur l’ordre du comte de Bondy 79. Il y dépeint au vitriol l’épisode des Cent-Jours infligé à la France par « l’usurpateur », tandis qu’il « savourait en paix les douceurs du gouvernement paternel des Bourbons » (p. 1), « douceurs » retrouvées à l’issue de son ultime défaite. Dans ce pamphlet, il décrit l’état de la ville mise à feu et à sang après le retour de l’usurpateur orchestré par des conspirateurs hostiles, « la secte bonapartiste et jacobite ». Il utilise la métaphore pour décrire ce retour : « Les lys palissent devant ses aigles victorieuses » (p. 3), et plus encore la métaphore artistique pour dépeindre les tableaux dramatiques dont il a été le témoin, déplorant la perte des valeurs morales, la « perversité générale », la « dépravation », les pillages et les destructions effectués par les agents de Bonaparte, reconnaissables « à leurs vociférations épouvantables, à leurs horribles blasphèmes [qu’] on les prendrait pour une troupe de démons sortis des enfers » (p. 7). A la noblesse, à l’art, au raffinement, à la piété, il oppose la misère et l’avilissement d’un peuple qui a perdu ses repères et dont Bonaparte et les fédérés sont tenus comme les responsables. Le peuple y est décrit avec l’image des Sans-culottes déguenillés de la Révolution (la comparaison est effective dans les Avertissements, p. vij) : « Des hommes, des femmes, des vieillards, des enfans, présentant l’extérieur de la plus affreuse misère (fidèle et malheureuse image du gouvernement qui allait s’établir), la plupart à demi-nus ou couverts de guenilles, noirs de crasse, dégoûtans de sueur, enfumés de poussière, la figure en convulsion, la fureur sur les lèvres, la rage dans le cœur, forment le cortège du tyran » (p. 5). A cette exécration des maux de l’Empire, à cette vision exacerbée de délabrement et de perdition, à ce rejet aux cris de « Vive l’empereur, vive l’enfer » (p. 47), Mouton-Fontenille exprime, avec un contraste calculé, la paix et la sérénité enfin retrouvées, le triomphe de la religion et l’exaltation des Lyonnais pour Louis XVIII avec force allégresse, chants et illuminations, et aux cris de « Vive le Roi ! ». « La chute d’un tyran fait le bonheur du monde » (p. 30), conclut-il. Ce pamphlet précède un autre (Mouton-Fontenille, 1815b), beaucoup plus élaboré et délayé, agrémenté d’une caricature représentant Napoléon avec la figure couverte de cadavres et le nom des villes « qu’il a ruinées ou détruites » (p. 187) ; cette satyre, qui verse dans l’excès plus encore que la précédente, est d’un moindre intérêt cependant. Le royaliste en quête de reconnaissance Fidèle à la cause royale et soucieux de retrouver une noblesse perdue, la Restauration est pour Mouton-Fontenille le plus heureux événement. En récompense de son dévouement et de ses sacrifices envers le roi, Mouton-Fontenille trouvait juste qu’il obtînt un titre ou qu’il reçût une décoration en rapport avec sa grande loyauté. Il sollicite Louis XVIII pour demander le cordon de Saint-Michel, en commençant sa lettre par « A sa majesté Louis XVIII, Roi de France et de Navarre, Sire », n’hésitant pas à mentir sur sa généalogie en créant un lien de filiation douteuse avec Olivier de Serres 80 et en s’appropriant la parenté par alliance de sa tante Marguerite, laquelle n’était pas descendante de Pierre Richer de Belleval duquel il se réclame : « A l’exemple de deux de mes Ancêtres, Olivier de Serres et Richer de Belleval » 81 (Fig. 8). Une attestation délivrée par la Société d’Agriculture reprend cette filiation inventée de Mouton-Fontenille 82 (Fig. 9). La lettre ici reproduite montre en quels termes Mouton-Fontenille fait sa requête et combien elle est importante pour lui :
« Plein de reconnoissance pour ce que les Rois de France ont fait en faveur de ma famille, et héritier des sentiments de mes ayeux, j’ai combattu pour la plus juste des causes au siège de Lyon. Fidèle aux principes de la légitimité du trône, j’ai refusé le serment à l’usurpateur, et je puis dire, pes meus stelit in directo 83. Une liste de ses travaux scientifiques imprimés et manuscrits accompagne cette demande, elle est datée du 4 novembre 1814, soit pendant la Première Restauration ; enfin, Mouton-Fontenille produit deux manifestes imprimés : « Je soussigné, (…) donne mon adhésion à la déchéance de Napoléon Bonaparte. Né sous le règne des Bourbons, j’adhère de cœur et d’ame au rétablissement du Trône et de la Religion ; je fais serment de vivre et de mourir pour notre Auguste et bien-aimé Monarque LOUIS XVIII ; et je regarde comme le plus beau jour de ma vie celui, où, après la longue et douloureuse absence de notre Roi légitime, il m’est enfin permis de répéter ce cri si cher aux Français : VIVE LE ROI ! » 85 (Fig. 10).
Le deuxième imprimé n’est autre que le refus de prêter serment à Napoléon après l’épisode des Cent-Jours ; le texte, adressé à « Sa Majesté Louis XVIII, Roi de France et de Navarre » et signé par onze membres de l’Académie dont Mouton-Fontenille, est certainement l’œuvre de ce dernier dont on reconnaît aisément le style d’écriture (voir Mouton-Fontenille, 1815a). Il se termine par ces mots : « Nous trouvons, SIRE, la récompense des persécutions suscitées contre nous, des dangers auxquels nous avons été exposés, des dénonciations dont nous avons été l’objet, dans le triomphe de la plus noble des causes. Dans l’excès de joie, nous nous écrions avec le Prophète : Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, rendre la paix à l’Eglise, le bonheur à la France, le repos à l’Europe » 86. Outre la perte de sa fonction à l’Académie dont il fut chassé, il avait été ajouté à une liste de dénonciation où figuraient 167 noms de royalistes et avait été placé sous surveillance par la police générale 87, autant d’éléments favorables à sa requête. Malgré un dossier très complet, de nombreux services rendus, des attestations, des soutiens, une loyauté sans faille à l’égard du roi, il est le seul requérant venant de Lyon à être écarté de la promotion. Sa demande est de nouveau appuyée en 1817 en même temps que deux nouveaux postulants : Jean-Louis Rast-Maupas de la Société d’Agriculture de Lyon et Jean-Baptiste Dumas, secrétaire de l’Académie des Sciences 88, sans succès. Une nouvelle et dernière requête est adressée au roi en 1819 89, en vain… |
2ème partie : les relations Gilibert – Mouton-Fontenille Les débuts de la relation Gilibert – Mouton-Fontenille Gilibert et Mouton-Fontenille ont tous deux fait leurs études à Montpellier et ont tous deux eu Antoine Gouan comme professeur, à vingt ans d’écart. Leur parcours similaire les a conduit à Lyon où les deux naturalistes s’installent définitivement, Gilibert en 1767, Mouton-Fontenille en 1792 90. C’est à Lyon qu’ils se rencontrent, probablement à la faveur d’un cours de botanique dispensé par le premier, car on sait qu’il avait été l’élève de Gilibert ; de vingt ans son aîné, il est comme un maître pour le jeune Mouton-Fontenille ; Gilibert et Mouton-Fontenille prennent tour à tour la responsabilité d’un cabinet d’histoire naturelle ; la première fois pour Mouton-Fontenille, ce fut le 24 novembre 1792 91 à l’Institut des sciences ouvert 12 jours plus tôt et inauguré par Gilibert, en tant qu’administrateur du bureau des collèges et professeur d’histoire naturelle 92. L’Institut se trouvait au ci-devant collège des Oratoriens, c’est-à-dire au Grand Collège (ou Collège de la Trinité). Plus tard, Gilibert prit la direction du cabinet de l’Ecole centrale du département du Rhône, à la suite de l’arrêt du 23 brumaire an IV ; celui-ci se trouvait au palais Saint-Pierre, le Grand Collège étant occupé par les gardes (Roux, 1914). En l’an XII, c’est Mouton-Fontenille qui est nommé directeur par intérim du Jardin botanique et du cabinet 93, en remplacement de Gilibert en déplacement à Paris 94. Les deux hommes partagent un autre point commun : ils sont tous deux des traducteurs et des diffuseurs de Linné ; Mouton-Fontenille rédige des tables de correspondance des différents systèmes de classification, mettant à l’honneur les systèmes linnéens ; il écrit un Système des Plantes dont la première partie est une traduction du système sexuel de Linné (Mouton-Fontenille, 1804-1805) et un Linné François (Mouton-Fontenille, 1809a), le titre parlant de lui-même. Mouton-Fontenille est un linnéiste convaincu qui voit dans le savant suédois, un nomenclateur de génie mais qui ne dédaigne pas pour autant Buffon. Dans son discours d’inauguration de son cours de botanique en 1810, il semble davantage sensible à la philosophie et à la poésie buffonniennes qu’au formalisme linnéen. Dans son Traité élémentaire d’ornithologie (1811a), sa position en faveur de Buffon est plus affirmée, comme on peut le lire dans la dédidace au comte de Lacépède : « Vous avez placé mon ouvrage sous la protection auguste de l’émule de Buffon et du rival de Linné ». Mouton-Fontenille opte pour une conciliation des idées de Buffon avec celles de Linné, en proposant une « histoire naturelle des oiseaux, de Buffon, rangée d’après le système de Linné » ; il reconnaît qu’il manque à l’œuvre de Buffon, « l’ordre et la méthode » (p. x) indispensable à toute science. Sa pensée est précisée plus loin (p. xi) : « J’ai souvent préféré la manière de philosopher de Buffon, qui m’a paru beaucoup plus lumineuse que celle de Linné ». Mouton-Fontenille reconnaissant que le système de Linné reste le plus pratique préfère l’adopter contre, par exemple, celui de Brisson. Jusqu’en 1808, Gilibert et Mouton-Fontenille semblent entretenir, au moins de façade, une relation de respect mutuel. En 1801, Mouton-Fontenille inclut dans son analyse des systèmes de classification, celui de Gilibert qu’il cite à de nombreuses reprises et dont il parle avec respect : « Le docteur Gilibert, dont la réputation en histoire naturelle est au-dessus de mes éloges ». Et au chapitre qu’il lui réserve, il écrit : « Actuellement professeur d’histoire naturelle à l’école centrale du département du Rhône, savant sans jalousie, éloquent sans vanité, passionné pour les sciences dans lesquelles il s’est acquis une réputation aussi célèbre que bien méritée, tel est le docteur Gilibert. L’amitié qui m’unit à lui m’impose la douce obligation de lui témoigner publiquement ma reconnoissance, pour toutes les bontés dont il n’a cessé de me combler depuis que j’ai l’avantage de le connoître » (Mouton-Fontenille, 1801). Quant à Gilibert, il a mentionné Mouton-Fontenille, à quelques reprises, dans son Histoire des plantes d’Europe : « Il seroit à désirer qu’un botaniste très-exercé sur les [plantes] alpines, comme un Villars, un Mouton-Fontenille, les signalât par leurs caractères essentiels, dans un petit volume portatif » (Gilibert, 1798). Ces références à Mouton-Fontenille sont toujours présentes dans la seconde édition de 1808. Gilibert cite Mouton-Fontenille également pour les autres disciplines (minéralogie, ornithologie, coquilles et poissons) : « Nous espérons, grâces aux recherches de nos coopérateurs Mouton-Fontenille, Sionet, Nicodemi, Coupier, que toutes ces branches de l’histoire naturelle de ce département seront bientôt aussi connues que le sont les plantes et les insectes » (Gilibert, 1800). Toutefois, et peut-être en raison de la différence d’âge, Gilibert a toujours considéré Mouton-Fontenille comme un naturaliste prometteur mais jamais comme un naturaliste accompli ; alors que Mouton-Fontenille, dans histoire des systèmes nomenclaturaux, cite Gilibert à de nombreuses reprises, le plaçant dans la lignée des plus grands, Linné, Allioni, Villars… ; des attentions qui n’ont peut-être pas reçu l’écho recherché et qui sans doute ont joué dans l’évolution de leur relation. Il est remarquable de voir les liens d’amitié entre personnes à l’aune de leur sensibilité politique. Gilibert était en lien avec la famille Jars ; il côtoyait le célèbre minéralogiste à l’Académie des sciences et citait les frères Jars parmi ceux qui œuvraient à répandre le goût de l’histoire naturelle (Dumas, 1839 : 282 – Mouton-Fontenille fait partie des naturalistes auquel il rend hommage). Or Antoine Gabriel Jars, nous l’avons vu, a habité jusqu’en 1811, le même immeuble que Mouton-Fontenille. C’était un bonapartiste convaincu, qui fut un temps maire de Lyon, en 1815, entre deux mandats du très royaliste comte de Fargues, ami de Mouton-Fontenille. Le comte de Fargues, neveu du très bonapartiste Fay de Sathonay, avait su profiter des bienfaits de l’Empire pour monter en société tout en restant fervent royaliste ; de manière similaire, Mouton-Fontenille, accède enfin au poste de professeur d’histoire naturelle à l’université impériale grâce à Nompère de Champagny dont la famille était toute dévouée à la cause napoléonienne. Si tous les protagonistes avaient été réunis, il n’est pas sûr qu’ils eussent trouvé un terrain d’entente. Gilibert était un modéré ; il se retrouva « fusil à l’épaule » dans l’avant-garde de la colonne menée par le comte de Précy contre l’armée de la Convention (Grognier, 1814), une position qui dût plaire à Mouton-Fontenille ami de Précy, lequel était anti-bonapartiste et royaliste comme lui. Les infortunes de Mouton-Fontenille Depuis la période révolutionnaire, Gilibert est une figure majeure pour la diffusion des sciences naturelles à Lyon ; conservateur du cabinet de l’École centrale dont il est directement à l’origine, il est à Lyon le savant botaniste le plus respecté. Mouton-Fontenille apparaît en arrière-plan dès la Révolution ; il semble qu’il ait participé au rangement du cabinet de l’École centrale et proposé des collections, notamment d’oiseaux. Fort de cette expérience, Mouton-Fontenille convoitait depuis longtemps une place de conservateur ; ainsi dans une lettre du 3 nivôse an XI 95 adressée à M. Huzard, rue de l’éperon 96, Mouton-Fontenille écrivait : « comme je fais une pétition au ministère de l’intérieur pour lui demander la place de conservateur du Cabinet d’histoire naturelle de Lyon », tout en essayant d’obtenir les faveurs du conseiller d’État Fourcroy, et en se recommandant auprès de M. et Mme Hénon dont il joignit une lettre de recommandation 97. En l’an XII, Mouton-Fontenille tente de remplacer Gilibert qui assurait l’intérim depuis deux mois, suite à la disparition de Nicodemi qui avait été choisi entre temps et qui mit fin à ses jours. Sa candidature est bien accueillie par le conseil qui le recommande auprès du maire, comme un « homme capable par son éducation & ses connoissances en botanique de remplir avec distinction la place de directeur, qu’il mérite par les ouvrages qu’il a publié, ses nombreux voyages sur les Alpes & dans nos provinces méridionales, son magnifique herbier qui présente plus de 5000 espèces, et encore plus que tout cela sa passion pour la botanique. En conséquence le bureau fait la demande au maire présidt le conseil, de solliciter la nomination de Mr Mouton-Fontenille à la place de directeur, auprès de Mr le préfet. » 98. L’affaire paraissait bien engagée mais cela ne se fit pas. En 1806, il tente d’obtenir une place d’intendant au jardin de Malmaison à Paris, après le départ de Charles François Brisseau de Mirbel, démis de ses fonctions. Mouton-Fontenille adresse une double pétition au comte de La Cépède au Muséum de Paris, et à André Thouin, directeur du Jardin impérial des plantes, afin de le recommander auprès de l’Impératrice ; il ajoute que ce poste serait « la récompense de près de 20 années d’études et un dédommagement des sacrifices en tout genre que je n’ai cessé de faire pour la botanique et l’histoire naturelle » 99. Il est évincé au profit de Jean-Baptiste Lelieur. En 1807, il candidate pour le poste de directeur du Jardin botanique ouvert à Lyon et essuie un nouveau revers au bénéfice de Dejean ; il avait demandé l’appui du maire Fay de Sathonay 100 afin d’être nommé au poste de directeur du Jardin botanique et de conservateur du cabinet d’histoire naturelle mais on voulut que ces deux missions fussent séparées 101, et c’est un poste de « conservateur du musée » et un autre de « directeur du jardin botanique » qui furent ouverts à la candidature. Il y avait trois postulants 102 : l’abbé Dejean (1763-1842) 103, un botaniste et un entomologiste, qui était versé dans l’étude « des parties de la botanique les plus difficiles : les graminées et les cryptogames » ; Gilibert fils (Stanislas 104), docteur en médecine, dont Gilibert père dressait une très longue liste de ses compétences et Mouton-Fontenille rapidement évoqué pour la botanique et l’empaillage des oiseaux. Un quatrième candidat fut ajouté : le naturaliste Sionnet. Le vote a lieu le 17 février 1808 105 lors du conseil d’administration réunissant Gilibert père, Rey-Monléan (ou Reyt-Monléan), trésorier, Paul Caire, vice-président et de L’Horme de l’Isle (ou Delille de l’Horme), secrétaire 106 : Dejean 107 et Gilibert fils 108 sont choisis au détriment une nouvelle fois de Mouton-Fontenille, ayant pourtant une plus longue expérience et des écrits reconnus (Fig. 11). Il est probable que Mouton-Fontenille dût ravaler sa rancœur, d’autant plus qu’il avait déjà été présenté au Conseil de l’école auparavant, contrairement à Dejean !
Mais revenons à l’épisode de sa deuxième candidature manquée pour la direction du Jardin botanique à la suite de feu Nicodemi. C’est donc à lui que Gilibert avait initialement pensé pour le succéder dès l’an XII ; Mouton-Fontenille relate : « [Gilibert] sentoit la nécessité d’avoir un adjoint, eut la bonté de venir chez moi, me proposa la place de Directeur, m’engagea à l’accepter, et fit prendre en ma faveur au Conseil d’administration, l’arrêté suivant, dans la séance du 26 prairial an 12 » 109. Ce fut pour lui une belle déconvenue d’apprendre que Gilibert semblât avoir changé d’avis et de constater qu’il restât en poste : « Le même homme qui avoit reconnu que j’étois capable de remplir la place de Directeur, fut le premier à revenir sur son arrêté, et à se récrier contre ce qu’il avoit avancé » 110. Cet espoir déçu fut sans doute très mal vécu et la blessure qu’il éprouva se transforma en ressentiment au moment de sa troisième éviction au bénéfice cette fois de Dejean. Non seulement cette place tant désirée lui avait été reprise presque aussitôt qu’on la lui proposait, mais au moment où elle devenait de nouveau effective, on la confiait à un autre, moins qualifié de surcroît. Ce nouveau coup dur scella le sort de leurs relations ; la rancœur est particulièrement tangible dans le mémoire qu’il adresse au ministre de l’Intérieur en 1808 (Figs. 12 et 13) pour tenter de forcer sa nomination 111. Gilibert (nommé « Mr *** ») y est durement attaqué et tout est matière à critique, la gestion du jardin comme celle du cabinet, la gestion comptable, ses émoluements, ses dépenses « folles », l’organisation de ses cours, les plantes prélevées pour son herbier, les erreurs de détermination, le refus de communiquer les spécimens, etc.
Les « désordres » qu’il fait remarquer sont observables selon lui depuis onze ans (soit depuis la création du cabinet…). Mais de manière insidieuse, il reconnait que « l’ordre » régnait lorsque Nicodemi prit la direction du Jardin en 1803 et que celui-ci ne fût gêné dans son maintien que par Gilibert qu’il rend d’ailleurs plus ou moins responsable de son suicide ! Selon Mouton-Fontenille en effet, une « haine » s’était installée entre les deux hommes : « La mésintelligence se mit entr’eux, les sarcasmes, les verités peut-être, furent prodiguées de part-et-d’autre. Nicodemi qui aimoit l’ordre qui connaissoit parfaitement ses plantes d’Italie, de Naples, et de Sicile, se plaignit des désordres qui regnoient dans le Jardin, de la fausse dénomination de la plupart des végétaux ; il disoit publiquement que Mr *** [Gilibert] ne connoissoit pas les plantes, et que sans lui, il seroit fort embarrassés pour faire ses leçons. Mr *** qui fut instruit de touts ses propos, et dont l’amour propre se trouvoit blessé jusques au vif, conçut des ce moment un esprit de haine contre cet individu, dit qu’il etoit un ignorant (…), ne cessa de le décrier (…) jusqu’au moment ou dévoré de chagrin, d’ennuis, (de remords selon quelques personnes), il amorça sa fin prochaine. En effet, un soir il sortit du jardin sur les sept heures, en disant à un des garçons jardiniers (…) ‘adieu vous ne me reverés plus’, et il disparut. Ce jardinier au lieu de le suivre pour l’empêcher de se suicider, se contenta d’aller prévenir Mr ***, qui ne fit de son côté aucune démarche pour découvrir où cet infortuné avoit porté ses pas, et depuis ce temps là, on ne l’a plus revu. 112» ⁂ Il nous faut revenir sur l’épisode Nicodemi 113. Le conseil d’administration avait voté pour lui en la séance du 21 thermidor an XI 114. Son mandat semble avoir été très compliqué dès le début, faisant part de manière écrite et orale des problèmes rencontrés, écrivant au préfet pour se plaindre de l’anarchie et du désordre qui régnaient au Jardin botanique et semblant en désaccord avec Gilibert sur l’étendue de ses fonctions 115. Des dissensions, qui commencent dès l’an XII et avec plusieurs protagonistes, et dont certaines remontent jusqu’au conseil d’administration ; il est question de « plainte très grave »116 et d’une « altercation » 117avec le citoyen de Moidière (ou de Moydière, Demoidière), membre de l’administration de la Pépinière : « Comment se fait-il qu’un homme instruit comme vous l’êtes, se soit abbaissé au point de recourir aux injures ! », lui répond-on. Il avait déjà mis sa démission en jeu dans le cas où le citoyen Madiot devait être nommé jardinier de la pépinière 118, ce qu’il fera effectivement le 6 frimaire an XII 119, acceptant toutefois de rester. Plus tard, il émet le souhait de quitter son logement au jardin botanique, ce qui lui est refusé par le conseil 120. La situation empire, faisant part de sa peur d’être assassiné 121, il « disparaît » ; le 25 germinal, Gilibert et Claude Perras (ou Perra), premier jardinier, effectuent, avec l’aide d’un commissaire de palier, une perquisition du domicile de Nicodemi et dressent un pré-inventaire des objets, du mobilier, des graines appartenant au jardin ; il est relevé qu’un herbier du Jardin botanique fut remis par Nicodemi à son « conseil et traducteur » André Isidore Giordano (Jordani, Jordano ou Giordanno). Une lettre lui est envoyée pour le récupérer 122; celui-ci étant devenu son fondé de pouvoir pour le compte de son frère et héritier Thomas, décide de conserver cet herbier, ayant été reconnu avoir été constitué par Nicodemi en dehors de son activité au Jardin 123. Les conséquences qui suivirent cette « démission » furent immédiates, un remplaçant devant être trouvé de toute urgence et le trésorier fut chargé de rendre le mandat par lequel Nicodemi avait été nommé directeur. Dans une lettre adressée au préfet, le conseil écrit : « Nous avons été comme vous, très scandalisé de la démission du Cn Nicodemi » 124 ; il est alors vu comme « un homme du plus grand mérite & de la plus grande probité » ; lorsqu’on apprend sa mort, on en parle avec les plus grands éloges. A la question de son suicide au sujet duquel Mouton-Fontenille écrit que « Mr *** [Gilibert] (…) ne fit de son côté aucune démarche pour découvrir où cet infortuné avoit porté ses pas », nous lisons ces derniers mots dans le procès verbal dressé par le conseil d’administration : « regrettant que nos démarches n’aient pu nous donner des indices pour suivre les traces de ce malheureux, qui selon toutes les apparences, d’après les marques de démence complète qu’il a donné depuis plusieurs jours, aura été se suicider ou peut-être se noyer » 125. ⁂ Mouton-Fontenille ne s’arrête pas à cette insidieuse insinuation que Gilibert serait plus ou moins responsable de la mort de Nicodemi, il critique aussi sa mauvaise gestion financière, le faisant passer pour un malhonnête, qui n’accomplirait pas ses cours pour faire à leur place ses consultations médicales : « Il aimait beaucoup mieux gagner 24 fr pour une consultation, que de faire sa leçon » 126, ajoutant plus loin : « Si les magistrats avaient surveillé les cours, ils auraient obligé Mr *** à faire régulièrement ses leçons, sous peine d’une amende égale à la valeur d’une consultation (…) ce moyen coercitif en produisant un bon effet, aurait fait cesser les justes murmures des élèves et des amateurs ». Mouton-Fontenille se présente comme un ami de l’ordre, et l’on comprend à l’association qui est faite entre Gilibert et « le désordre », que le vers de Boileau qui le suit : « j’appelle un chat un chat et Rollet un fripon », et qui apparaît également en première page comme sous-titre, lui est directement dédié. Il s’en prend aussi violemment aux jardiniers « ignorants » ou qualifiés seulement pour leur « avidité » et leur « ineptie », les traitant avec mépris, lorsque ceux-ci récupèrent des échantillons de plantes pour leur herbier, n’étant pour eux que « des pierres précieuses, devant des pourceaux » ; la charge est violente également à l’endroit des membres du conseil d’administration (et pour cause : il n’en fit jamais partie !), fréquemment cité à propos de la mauvaise gestion et des avantages honteux dont ses membres profitent, comme de pouvoir acheter des plantes à moitié prix. L’un d’eux est nommé « Mr ** » par Mouton-Fontenille mais il donne aussitôt les moyens de trouver son identité : « Le compte (…) de Mr ** qui date du 26 brumaire an 13 ». Or la plupart des comptes étaient présentés par Claude Perras, 1er jardinier. La troisième personne visée spécialement par Mouton-Fontenille, nommée « Mr * », est attaquée en ces termes : « Mr * ayant eu trop bonne opinion de ses talents, s’arrogea à lui seul la direction du jardin, et pour donner un échantillon de son savoir faire, bouleversoit, couppoit, tailloit, mutiloit les arbres et les plantes » ; il pourrait s’agir du comte de Moidière, président de l’administration de la Pépinière et qui s’était occupé des conifères dont Mouton-Fontenille critiquait le mauvais déplacement, à moins qu’il ne s’agisse de Madiot. Il termine sa démonstration en montrant sa légitimité pour la direction du jardin et la conservation du cabinet, expliquant avoir déjà été nommé à ce poste dès le 24 novembre 1792 127 et en appelle au ministre pour réunir ces deux fonctions en une et le désigner lui comme directeur. Cet opuscule, long de 20 pages au format in-4, peut être vu comme un pamphlet dirigé contre Gilibert. De Candolle à qui il fut transmis le regarda avec une grande réserve (Fig. 14) : « Ce jardin est un des plus beaux emplacements qu’on puisse avoir pour un pareil but, mais il a du exiger de grands travaux pour l’amener au point ou il est ; c’est sans doute à cette cause que sont dues quelques petites négligences de détail qui sont inévitables dans un établissement presque naissant et que l’auteur de la notice me paroit exagérer et relever avec trop de partialité (…) » 128. Au sujet des erreurs de noms, il n’impute pas ces anomalies à Gilibert mais à des transports d’étiquettes par les jardiniers : « Les erreurs indiquées par Mr Mouton-Fontenille sont trop grossières pour qu’il soit possible de les attribuer au Professeur ». Il prend encore sa défense au sujet des plantes prélevées par Gilibert pour son herbier qu’il « faudroit au contraire le blamer s’il le négligeoit », reconnaissant l’utilité d’une telle pratique et le peu de dommage causé au jardin. Enfin à l’accusation que Gilibert ne communiquait pas les échantillons demandés, il répondit que lui-même avait toujours bénéficié de ses envois, provenant soit de son herbier, soit du jardin, tout en refusant de se prononcer sur tous les autres aspects administratifs, comptables ou relatifs à la gestion interne.
Mouton-Fontenille est passé en quelques années du panégyrique à la diffamation ; cette détérioration des relations avec Gilibert est consécutive d’une grande lassitude, celle d’avoir espéré en vain une place de conservateur qu’on lui avait fait miroiter, dans une période où sa situation financière était guère favorable. La revanche et le Musée de l’Académie C’est paradoxalement sous l’ère napoléonienne que Mouton-Fontenille prend enfin le pas sur Gilibert, plus exactement en 1810 129 avec l’installation de l’Académie de Lyon. Il s’était de nouveau fait recommander auprès du conseiller d’État, cette fois Nompère de Champagny 130, recteur de l’Académie, grâce à qui il fut nommé professeur d’histoire naturelle à l’Académie impériale et au lycée de Lyon, doublant Gilibert qui convoitait lui aussi ce poste. Ce jour tant attendu, « le plus beau de [sa] vie » (Mouton-Fontenille, 1810 : x), l’installait enfin dans une fonction en rapport avec sa compétence, à un moment où il s’était résolu de tout abandonner. « C’est un véritable jour de triomphe pour les amis des Sciences », claironne-t-il dans son discours inaugural 131. Ragaillardi, il se propose immédiatement de fonder un cabinet d’histoire naturelle : « Dans un Cabinet d’histoire naturelle bien ordonné, doivent se trouver toutes les productions des trois règnes. On doit y observer les Quadrupèdes qui foulent le même sol que nous ; les Oiseaux destinés en grande partie à se mouvoir dans le vuide de l’air ; les Poissons qui se jouent dans la profondeur des ondes ; le Papillon qui voltige ; l’Insecte qui bourdonne ; le Reptile et le Ver qui rampent ; les Végétaux destinés à parer la surface du globe et à en varier les différens aspects ; enfin les Minéraux qui forment la charpente osseuse de la terre et composent les différentes masses ». Un discours aux accents de la Genèse et de Buffon dont il se réclame de plus en plus (au détriment de Linné) ; les thèses de Buffon étant plus à même de servir son propos, et peut-être aussi par réaction à Gilibert, fervent défenseur de Linné. Ce discours s’achève sur ce projet de cabinet : « Qu’il me soit permis seulement de vous observer qu’en établissant dans notre ville des collections d’histoire naturelle, c’est faire tourner la science à l’avantage de ses habitans. Lorsque les étrangers y trouveront des objets dignes de fixer leur curiosité, ils auront plus d’un motif pour y prolonger leur séjour » (Mouton-Fontenille, 1810). Ce projet est mis à exécution très rapidement : une annonce publique de la formation d’un cabinet destiné à la ville et ouvert au public paraît le 11 octobre 1810, sans la moindre considération pour le cabinet de son rival que Mouton-Fontenille préfère ignorer superbement : « M. Mouton-Fontenille (…) chargé par ordres supérieurs de la formation du Cabinet d’histoire [naturelle] de l’Académie, voulant donner à cet établissement confié à ses soins, tout l’éclat dont il est susceptible, prie les chasseurs et autres personnes qui auront occasion de se procurer, soit vivans, soit morts, des quadrupèdes ou des oiseaux dont les poils ou les plumes seraient bien conservés, de vouloir bien les lui communiquer. Il achètera ceux qu’on voudra lui vendre ; et les noms des personnes qui feront quelque don au Cabinet, seront inscrits à côté de l’objet qu’elles auront donné. Dans ce Cabinet, qui sera ouvert au public à des jours fixes dans la semaine, se trouveront classées, dénommées avec ordre et méthode, les productions des trois règnes. C’est dans cet établissement que les dessinateurs, les brodeurs, les fleuristes, viendront observer les objets qui auront rapport à leur art, et qu’ils trouveront des modèles pour imprimer à leurs ouvrages un mérite réel. En invitant MM. les Lyonnais à l’aider dans ses travaux, M. Mouton-Fontenille espère qu’il voudront bien concourir avec lui à la formation du Cabinet d’histoire naturelle de l’Académie, qui deviendra pour leur ville d’une grande utilité (…) » 132. Très rapidement celui-ci prend forme et s’accroît avec l’arrivée de nouveaux spécimens : « Autorisé par M. le Recteur de l’Académie, à me livrer à la préparation des objets qui doivent former ce Cabinet, j’ai empaillé dans l’espace de six mois, centre trente-un individus, tant Oiseaux que Quadrupèdes » (Mouton-Fontenille, 1811a). Mieux, il va tenter de récupérer le cabinet de la Déserte de son désormais ennemi Gilibert en écrivant au comte de Bondy, préfet du département du Rhône : « Il existe dans le bâtiment de la Déserte, un Cabinet d’histoire naturelle qui doit servir à l’Instruction publique, ayant été formé et acheté par le gouvernement. Ne convient-il pas que ce cabinet revienne à sa destination primitive, et qu’il soit consacré aux leçons de l’Académie ? » 133. Le préfet s’en remit au maire 134, le comte Fay de Sathonay. C’est sans doute par voie de conséquence, que Fay de Sathonay sollicita l’inventaire du cabinet de la Déserte 135 sans accéder toutefois à sa demande de transfert au Lycée, laquelle ne fut probablement jamais soumise au Jardin botanique puisque cette question n’apparaît à aucun moment dans les comptes rendus du conseil d’administration. Malgré tout, c’est une grande victoire pour Mouton-Fontenille que l’on perçoit à travers ces lignes qu’il se plaît à rappeler, instituant l’Académie impériale comme autrefois l’école centrale du département du Rhône et se donnant le même rôle que celui qu’obtint Gilibert avec la Convention : « Pour faciliter l’étude de l’Histoire naturelle, le Gouvernement dont les vues bienfaisantes embrassent jusqu’aux moindres détails, a voulu qu’il y eût dans chaque Académie un Cabinet d’Histoire naturelle. Ces Cabinets doivent renfermer toutes les productions naturelles de divers départements qui forment l’arrondissement de chaque Académie. Ces productions doivent être classées et dénommées par le Professeur d’Histoire naturelle, auquel ce soin est confié d’après l’article 25 des statuts de l’Université Impériale » (Mouton-Fontenille, 1811a : xxviij). Il peut en effet exulter : le professeur Mouton-Fontenille est investi d’une mission plus large que celle de Gilibert dont l’empire était restreint au seul département du Rhône. C’est une réussite complète si l’on ajoute que, dans le même temps, Gilibert est écarté à grand regret de l’université impériale : « à l’injustice sur ce que je n’ai point été nommé membre de l’université impériale (…) j’attend de la justice de monsieur le maire qu’il me fera rembourser ce qui m’est du comme avances et arriéré d’apointement » 136. La fin de Gilibert en 1814 semble toutefois apaiser Mouton-Fontenille qui lui rend un vibrant hommage et fait la compilation de ses publications dans un document de 60 p. 137 ; ce qui tranche avec le pamphlet diffamatoire qu’il lui avait auparavant réservé : « Notre savant collègue [Mouton-Fontenille] a tracé le portrait de l’homme recommandable, dont il s’honore d’avoir été le disciple et l’ami ; il l’a peint comme botaniste théoricien, comme nomenclateur, comme bibliographe, comme professeur. Il a fait ressortir la noblesse et la beauté de son caractère ; il a indiqué les importants ouvrages sortis de la plume féconde de cet écrivain » (Grognier, 1817 : 63). Quant au cabinet, il n’en reste plus guère de trace, sauf à considérer qu’une partie des objets de l’ancien muséum sont passés par ce relai du cabinet au Lycée impérial. Le souvenir le plus direct de son existence est donné par les ex-libris de Mouton-Fontenille qui ornaient les ouvrages du cabinet, car il ne fait aucun doute qu’ils ont été gravés après son accession à ce poste, comme en témoignent les mots « ex Musæo Mouton-Fontenille Acadomiæ Lugdunensis » (Fig. 15). Sur cet ex-libris, les références à la royauté et à la loyauté sont nombreuses : la couleur azur qui renvoie habituellement à la majesté, ainsi que la couronne comtale, la même que celle qui ornait les ex-libris de Latourrette, choisie sans doute en remerciements des aides que les comtes lui ont prodiguées en maintes circonstances.
|
3ème partie : Mouton-Fontenille et le musée d’histoire naturelle La chute de l’Empire, qui réjouit l’anti-bonapartiste Mouton-Fontenille, est une période compliquée pour lui : sa chaire d’histoire naturelle disparaît avec la suppression de la Faculté des Sciences de Lyon en 1815 et il se retrouve sans la moindre activité 138. Grâce à l’appui du comte de Fargues, maire de Lyon, il obtient en 1816 le titre de conservateur du cabinet 139 et rejoint les établissements du palais Saint-Pierre dirigé par François Artaud (1767-1838), directeur des établissements du palais des Arts. Une commission pour l’arrangement du cabinet d’histoire naturelle est créée, composée de Saint-Didier, Falconet, Bourgeois, Commarmond et Tissier cadet 140. Les évènements marquants de la direction Mouton-Fontenille sont essentiellement l’organisation du rapatriement du cabinet à la Déserte vers le palais Saint-Pierre et le suivi des travaux de réfection des salles en vue de l’ouverture du cabinet au public. Il conservera cette fonction jusqu’en 1830. Prise en charge de l’ancien cabinet Le cabinet se trouvait toujours à la Déserte où il était resté, après la mort de Gilibert, sous la responsabilité de l’abbé Dejean, à la direction du Jardin depuis 1808, et de Gilibert fils, conservateur des collections 141. Le transfert au palais Saint-Pierre était désiré depuis longtemps par la ville mais Gilibert s’était toujours montré réticent. A son décès, ce transfert fut de nouveau envisagé et un inventaire général fut réalisé par Sionest aîné, Dejean, et Gilibert fils en 1814 142. Cet inventaire fut contre-signé par Mouton-Fontenille en 1818, le maire déchargeant Dejean de tous les objets : « J’accepte le présent inventaire. Lyon le 28 juillet 1818. Mouton-Fontenille ». Pourtant l’année d’avant, en 1817, il avait écrit au maire en dressant un bilan catastrophique et exagéré des collections restées à la Déserte dans un rapport daté du 14 septembre 1817 143 qui faisait suite à une visite effectuée la veille avec Dufresne, présenté par Mouton-Fontenille comme le « directeur du cabinet d’histoire naturelle de Paris » alors qu’il n’était qu’aide-naturaliste au muséum ; Louis Dufresne (1752-1832) partageait avec Mouton-Fontenille cette même vision de l’art de la taxidermie et rédigera un petit ouvrage sur ce sujet (Dufresne, 1820) ; il s’était sans doute montré peu enthousiaste lui aussi face aux anciennes collections du cabinet. Les extraits du rapport qui suivent sont très importants pour l’histoire du muséum de Lyon car ils permettent enfin de comprendre comment les collections des anciens cabinets de curiosité (Monconys-Pestalozzi, Latourrette, Soubry, Gilibert, etc.) qui avaient survécu à la Révolution et dont les deux-tiers étaient encore présents en 1814, ont disparu dans leur presque totalité à l’exception de quelques pièces particulières ; il est dit : « 1° que le cabinet mal disposé et dans un grand état de délabrement, a besoin d’une revue et d’une refonte générale, pour séparer ce qui mérite d’être conservé, d’avec ce que l’on doit rejetter, mais que ce travail qui exigera au moins deux mois de temps, doit être fait à la Déserte. 2° qu’une fois le choix fait, il faudra avant de faire le transport des morceaux choisis, les laver, les nettoyer et les mettre en état de figurer dans le Cabinet de St-Pierre. 3° que la minéralogie offre un grand nombre d’échantillons ou morceaux très multipliés et d’une valeur à peu près nulle ; qu’il convient d’échanger (s’il est possible), ou de donner ces échantillons (…). 4° que les quadrupèdes en général dénaturés, dénués entièrement de poils et dont il ne reste que la peau (…) ne peuvent figurer dans le Cabinet ; qu’il convient de leur couper la tête et les pattes pour servir aux démonstrations ; mais que les animaux ayant été préparés dans le temps avec des poisons tels que l’arsenic, le sublimé corrosif, etc., il convient par prudence et pour éviter tout accident, de les enterrer. 5° que les oiseaux d’Europe presque tous détruits par les insectes et défigurés entièrement par la térébenthine dans laquelle on les a plongés, doivent être totalement remplacés, et les individus mis au rebut, traités comme les quadrupèdes, après en avoir ôté les yeux. 6° que les oiseaux exotiques également en mauvais état, mais encore plus maltraités par la térébenthine que par les insectes, doivent être conservés jusqu’à ce qu’on puisse les remplacer par des individus frais et en bon état. 7° que les caisses de verre dans lesquelles les oiseaux sont renfermés, ne pouvant servir à rien dans la nouvelle distribution du cabinet, il convient de vendre les verres, et d’appliquer l’argent provenu de leur vente, aux dépenses du Cabinet. 8° que les vieilles armoires du Cabinet ne pouvant également servir à rien, doivent aussi être vendues. 9° que les poissons en très mauvais état, tous couverts de poussière, n’offrant qu’un très petit nombre d’individus à conserver, exigent d’être remplacés par des individus nouveaux. 10° que les deux meubles qui renferment les coquilles, faits sans goût et sans discernement, trop hauts et trop larges (…) il convient ou de les vendre pour en construire de nouveaux sur le modèle de ceux du Musaeum de Paris, ou bien de les placer dans la salle des antiques ou l’on pourra les employer utilement. 11° que les nouveaux meubles à deux faces, faits d’après les proportions et les mesures qui seront envoyées de Paris par Monsieur Dufresne, et qui contiendront la collection des coquilles, des papillons et d’insectes, seront placés dans le centre du Cabinet. 12° qu’en général les étiquettes sont placées à contre sens, d’une vilaine écriture, d’une irrégularité et d’une disproportion choquante dans leur forme ; qu’il convient d’en faire de nouvelles, d’après une planche gravée sur lesquelles seront écrits en caractères très lisibles et d’une certaine grosseur, les noms latins et français de chaque objet. 13° que les coquilles sont mal disposées dans les deux meubles et tournées presque toutes à contre sens ; qu’on doit les disposer espèce par espèce sur une ligne verticale et non point sur une ligne horizontale (…). » (Idem) La richesse du cabinet tel que décrit dans l’inventaire de 1814 (plus de 15 000 objets) et accepté en 1818 par Mouton-Fontenille, ne permet pas d’imaginer que l’ensemble se soit détérioré à ce point, du fait de l’hétérogénéité des objets qui le composaient. Mouton-Fontenille, très exigeant au point de vue de la qualité esthétique des objets, n’avait probablement aucune envie de conserver des spécimens mal naturalisés. Nous le verrons en effet brosser des tableaux tout aussi pitoyables pour des collections nouvellement acquises par la ville et destinées au cabinet. Le transfert des restes du cabinet, retardé par la rénovation attendue de la salle destinée à l’accueillir au palais Saint-Pierre 144, s’effectue en onze jours, du 4 au 15 mai 1819 145. Les collections sont provisoirement entreposées au palais des Arts 146, après que le conservateur des Beaux-Arts eut consenti que ces collections fussent rapatriées (Alglave, 1874). Presque deux années supplémentaires se sont encore écoulées depuis la visite avec Dufresne et la rédaction du rapport ; deux années où, probablement, Mouton-Fontenille ne s’est absolument pas inquiété de ces collections, étant occupé, au palais Saint-Pierre, à former son propre cabinet. Ce retard a en partie été orchestré par le conservateur des beaux-arts Artaud qui ne souhaitait pas voir ce cabinet rapatrié. Aussi les pertes ne s’arrêtent-elles pas là et continuent sous la pression d’Artaud qui demande au maire d’accélérer le tri de ce qui reste des anciens cabinets 147 : « J’avais engagé Mr Mouton de Fontenille à mettre en évidence bon ou mauvais tous les objets d’histoire naturelle qui appartiennent au Cabinet de la ville, sauf ensuite à inventorier ce qui est bon, à élaguer ce qui est mauvais (…) loin de suivre ce conseil, je vois à regret que Mr Mouton, laisse dans les anciens dépôts une infinité de choses dont on ne peut se rendre compte ». Ce « désherbage » intervient en 1827 ; dans une note du 21 mai, les membres du jury du cabinet d’histoire naturelle émettent le souhait « de faire vendre les anciennes cages de verre, les vieilles armoires et les oiseaux mis au rebut le tout provenant des anciennes collections de Lyon » 148. Cette volonté est mise à exécution en juillet sous la forme d’un échange avec le « Sieur Lafont » 149 contre une collection de Coléoptères ; voici l’inventaire des objets qui ont été cédés à cette occasion : « 1° Armoire sans porte contenant quelques débris de fossiles, minéraux, anatomie &c. et petit meuble à tiroirs et à deux portes. (120 f.) Le tout, pour un total de 700 f servant d’acompte à la somme demandée par Lafont pour sa collection entomologique (1200 f.). Ces objets étant considérés comme « devenus inutiles ou même à charge », les membres du conseil d’administration délibèrent le 4 juillet 1828 en faveur de cette offre, décision arrêtée par le maire le 20 juillet 151. Cette date correspond au lendemain de l’ouverture du musée au public, il fut donc jugé que les objets qui ne pouvaient être exposés devaient être éliminés. Ouverture du musée et fin de règne L’ouverture de la galerie était espérée depuis longtemps, mais il avait fallu attendre son aménagement dans l’aile occidentale du palais Saint-Pierre 152 et son ouverture prévue en 1826 avait été retardée. C’est donc le 19 juillet 1827 153, 154 que le public peut enfin investir la nouvelle galerie placée dans l’aile occidentale du palais Saint-Pierre. Un règlement intérieur est rendu public à la même date 155. C’est une période de renouveau pour les collections qui entrent régulièrement au musée. Les années précédentes, il avait pu obtenir un budget annuel de 1000 f. pour les dépenses diverses, somme que le nouveau maire, avait suspendu en 1826 156, alors que devait s’ouvrir la galerie, obligeant Mouton-Fontenille à la réclamer de nouveau. Dans cette période intense d’activité, Mouton-Fontenille ne s’oublie pas et sollicite une augmentation, se proposant même, contre une augmentation, de céder sa collection de coquilles obtenue par échange de son herbier. Il rappelle qu’il remplit trois fonctions distinctes, celles de « professeur, de conservateur et de préparateur, et que les émoluments de 1500 fr. ne sont pas en rapport avec la série de travaux et d’occupations dont il est chargé ». Le détail des trois fonctions est donné par Mouton-Fontenille avec les propositions d’augmentation de traitements suivants : « 1° celle de professeur pour un cours d’histoire naturelle qui a lieu pendant l’hyver … 1500 L’administration cède à cette requête en 1826, par une augmentation de son traitement qui est portée à 600 f « moyennant ce supplément, il se charge à l’avenir de professer de conserver et de préparer tout ce qui est relatif au Cabinet d’histoire naturelle » 158 (les mots sont soulignés dans le manuscrit). Cette augmentation fut sans doute considérée comme insuffisante puisqu’on lit dans le Précurseur trois années plus tard à propos du zèbre : « remis à M. Mouton, qui est chargé de le conserver » ; ajoutant : « A propos de M. Mouton : il nous a expliqué il y a quelque tems, comme quoi il n’était pas préparateur, mais seulement professeur et conservateur ; et nous avons compris comment des pièces rares restaient dans le plus triste état de dégradation, quand elles ne demanderaient que quelques réparations légères ; pourquoi aussi des pièces communes et cependant indispensables dans une collection, manquaient à la nôtre. (…) Mais, ce que nous ne concevons pas encore, c’est que parmi les animaux que nous possédons, la moitié n’est pas étiquetée, et que parmi ceux qui le sont, un grand nombre soit désigné par de faux noms. La ville, qui paye déjà un préparateur et un conservateur, devra-t-elle payer encore un nomenclateur. » 159 (les mots conserver, professeur, conservateur, préparateur et nomenclateur, en italique dans le texte original). En 1829, dans une nouvelle demande, il écrit : « De toutes les places de professeurs au palais des Arts, il n’en est aucune d’aussi pénible et d’aussi mal rétribuée que celle que j’ai l’honneur d’occuper, professeur, conservateur, préparateur depuis ma nomination, et voyageur cette année. On ne m’alloue pour ces diverses fonctions que le modique traitement de 2000 fr. en déduisant de cette somme, celle de 798 fr. pour frais de retenues, quittances, logements militaires, loyer, &c. reste net 1262 fr. pour tout émolument. D’après cet exposé, je crois pouvoir solliciter une augmentation de traitement, et demander qu’il soit porté à 2400 fr. » Le ‘4’ surpasse un ‘6’ voulant indiquer qu'il mérite plus mais reste raisonnable. Comptant sur la sollicitude des membres du jury du cabinet, il se propose d’effectuer des courses géologiques, à raison de 30 jours par an, contre une augmentation de traitement de 400 francs en compensation des dépenses engagées 160. Cette ultime requête, formulée deux fois dans le même mois, est une initiative désespérée ; elle est effectuée en décembre 1829, quelques mois avant sa mise en retraite au cours de l’année 1830 161, une mise en retraite anticipée, puisqu’il disait encore en décembre 1829 vouloir poursuivre son action les années suivantes 162. La passation entre Mouton-Fontenille et Claude Jourdan, son successeur en 1832 est peu documentée et contradictoire dans les dates. D’après un arrêté pris le 1er décembre 1830, par Victor Prunelle (1777-1853), le nouveau maire élu à la faveur de la Révolution de Juillet, le professeur Clerjon est choisi pour occuper la nouvelle chaire d’anatomie pittoresque au palais des Arts. En même temps il sera conservateur du cabinet d’histoire naturelle, ceci à compter du 1er janvier 1831 ; dans le même arrêté, Mouton-Fontenille fait valoir ses droits à la retraite. Pourtant, un courrier de septembre 1830 nous apprend que celui-ci n’était plus en poste et avait déjà quitté les lieux : « Mr Mouton-Fontenille, ex-directeur du cabinet d’histoire naturelle, vient de demander au secrétariat du musée, un permis pour sortir au plutôt ses effets du Palais » 163 ; cette lettre adressée au maire est signée « E. Rey » avec la mention « Professeur faisant fonction de Directeur ». Cet intérim d’Etienne Rey (1789-1867) 164, un professeur de dessin, ne dure que quelques mois. Il est remplacé brièvement par un autre professeur, Pierre Clerjon (1800-1832), auteur d’une Histoire de Lyon en six volumes, qui meurt en février 1832, laissant la place à Jourdan. Tout indique que Mouton-Fontenille a démissionné et n’a pas attendu l’arrêté du maire pour quitter ses fonctions. Nous n’avons pu trouver aucun document sur les conditions de son départ. Les collections du cabinet sous Mouton-Fontenille Les collections acquises de Mouton-Fontenille Rassembler des collections et les vendre est une activité constante chez Mouton-Fontenille. Il faut dire que la Révolution n’a pas arrangé les affaires familiales et qu’il voit dans les produits de la nature un moyen de subsistance à la fois pratique et plaisant. On trouve trace de cette activité pécuniaire dès la période révolutionnaire 165, sous l’Empire, notamment avec oiseaux vendus au muséum de Gap (Nicollet, 1893 : 334 166), sous la Restauration, lorsqu’il était en poste à la direction du cabinet dès 1816, et même après sa mise en retraite avec une collection de minéraux vendue au musée lyonnais en 1835, deux années avant sa mort 167. C’est donc de manière très exceptionnelle que Mouton-Fontenille a effectué des dons de collections, lesquels sont vus comme une contrepartie de ses nominations : en 1810 en tant que professeur d’histoire naturelle au Lycée impérial, il propose immédiatement ses collections, herbiers, quadrupèdes, oiseaux et bibliothèque (Mouton-Fontenille, 1810) ; il s’agit probablement de tout ou partie des collections qui avaient été mises en vente au 1er mars 1810 et qui comprenaient une bibliothèque de 454 titres, deux herbiers 168 (52 volumes pour son herbier général, fruit de 20 années de travail, et 11 volumes d’un petit herbier), ainsi qu’une collection de 1300 coquilles (Mouton-Fontenille, 1809b). En 1817, suite à sa nomination au poste de directeur du cabinet d’histoire naturelle, il propose son herbier de « 54 volumes in-folio fruit de 25 années de courses », ses oiseaux (environ 200) et sa bibliothèque (1500 livres) 169. On comprend donc que Mouton-Fontenille a entre-temps récupéré ses collections du Lycée (Alglave, 1874) pour les proposer à nouveau au cabinet d’histoire naturelle de Lyon. Mieux, on sait que son herbier sera finalement vendu, de manière discrétionnaire, … au Jardin botanique en 1822 ! (Fig. 16)170
Il est toutefois plein de zèle et a hâte d’obtenir le soutien de la mairie pour ses nouveaux projets visant à enrichir les collections, à embellir le cabinet et à organiser au plus vite un cours d’histoire naturelle. Il fait une demande d’autorisation de port d’arme pour chasser lui-même les oiseaux : « Désirant compléter l’Ornithologie du Département, j’ai empaillé depuis le Ie de septembre, un grand nombre d’oiseaux que je me suis procurés en allant tous les matins visiter les marchés, mais il est certaines espèces, surtout dans les petites (…), que je ne puis obtenir qu’en les tuant moi-même. Ces considérations m’ont engagé à demander à Monsieur le Préfet, un permis de port d’armes. J’ai besoin pour l’obtenir, que la demande que j’ai l’honneur de vous adresser, soit revêtue de votre visa (…) ainsi que me l’a annoncé, Monsieur le Comte de Chabrol. » 171. La mairie ne sont montre pas aussi empressée, et courrier après courrier, Mouton-Fontenille voit la lassitude le gagner, six mois après sa prise de fonction, il écrit : « Découragé mais non abattu, j’ai mis à profit le temps qui s’est écoulé depuis ma nomination, et j’ai déjà préparé pour le Cabinet plus de 200 oiseaux de la plus grande fraicheur. J’ai également préparé une très belle collection de papillons et de coquilles du Dt [Département], et je vais m’occuper des poissons. » 172. Il compte aussi sur la possibilité d’effectuer des courses dans le département pour enrichir les collections ; ainsi en 1817, il suggère que soit effectué deux courses par an pour la collecte de spécimens 173, une demande restée lettre morte. En 1819, il effectue une nouvelle proposition en sollicitant de pouvoir effectuer des courses dans les départements voisins, précisant : « Les mois de juillet et d’aoûst sont les époques qu’on choisit pour parcourir les montagnes et ramasser des collections des trois règnes » ; il propose d’effectuer un voyage au Mont Pilat ou en Grande Chartreuse, et si cette proposition devait être acceptée, de pouvoir la renouveler chaque année 174. En 1817, dans le rapport sur le cabinet de la Déserte, il avait demandé au maire à ce qu’une somme fixe fût allouée pour « l’entretien du Cabinet, l’achat des objets, les frais de voyage (…), la préparation double des individus pour les échanges, moyen le plus prompt et le plus économique pour enrichir et completter le Cabinet » ; il ajoutait qu’il convenait de « se lier avec les différents amateurs et naturalistes du Royaume ; avec les directeurs, conservateurs des cabinets d’histoire naturelle de la France et de l’étranger » et d’établir un catalogue d’inventaire « afin de connaître ou de faire connaître à ses correspondants, les objets que l’on possède et ceux que l’on désirera acquérir par le moyen de l’échange » 175. Ce discours rappelle celui de Claude Jourdan puis de Louis Lortet, chacun constatant, à la prise de la direction du musée, combien son prédécesseur avait manqué de soin dans la gestion des collections, tout en désirant une nouvelle ère marquée par l’accroissement des collections, du réseau relationnel (scientifiques et amateurs) et des missions de terrain. Ceci ne se produisit pas sous la direction de Mouton-Fontenille, ou du moins pas avant de nombreuses années. Il dut attendre très longtemps, notamment pour effectuer des courses dans le département. D’après un courrier de F. Artaud, on apprend que Mouton-Fontenille a vendu une série minéralogique au musée en 1821. Cette lettre est adressée au chevalier Evesque, adjoint du maire et administrateur du Conservatoire des Arts : « Sur votre invitation, j’ai reconnu le nombre des échantillons de minéralogie que vous avés achetté à M. Mouton pour le Musée ; ils se trouvent conformes à la note mais quant à leur espèce, il me serait impossible de les reconnaitre tous, attendu que j’ai peu de connaissances dans cette partie » 176. Vers juillet 1826 177, il propose l’acquisition de ses collections (oiseaux empaillés et minéraux), ainsi que sa bibliothèque à la ville de Lyon, pour une somme totale de 5400 francs 178 : « n°1. Une Collection d’oiseaux empaillés, au nombre de 269, tant indigènes qu’exotiques, préparés avec les préservatifs usités pour leur conservation ; les yeux en émail, les pieds en huchoirs en noyer ou fayard, les peaux entières … 1800 f Nous savons qu’il comptait aussi sur l’achat de son herbier (un autre que celui laissé au Jardin) d’après un autre document 179. La proposition de Mouton-Fontenille est acceptée en partie : la livraison comprend 276 oiseaux 180 (avec une note marginale indiquant 281) au lieu des 269 initialement prévus, 206 minéraux 181 (au lieu de 200) pour un montant de 2400 f. ; les ouvrages sont strictement limités à ceux d’histoire naturelle et utiles au cabinet, pour un montant de 500 f. ; la proposition à 5400 f. sera donc réduite à 2900 f. La réponse de la Commission pour l’arrangement du cabinet est datée du 8 août 1826 et est remise à Mouton-Fontenille le 14 mars 1827, soit sept mois après sa requête. Toutefois, Mouton-Fontenille n’avait pas attendu tout ce temps pour placer ses collections dans les armoires du cabinet, elles y étaient arrivées déjà depuis un an 182, causant l’ire du directeur des établissements du palais des Arts, Artaud, qui écrivit au maire pour s’en plaindre : « Maintenant il vient placer sa collection particulière que vous avés vue dans son cabinet, dans les armoires de celui de la ville ; avant de savoir si on sera disposé à en faire l’acquisition » 183. Mouton-Fontenille se justifia dans une longue lettre adressée au nouveau maire que la décision avait déjà été arrêtée par son prédécesseur, le comte de Fargues, et qu’il ne faisait que satisfaire à sa volonté 184. Cinq mois plus tard, on lit cependant : « Mr Mouton-Fontenille n’attend plus [que] votre décision pour disposer le plutôt possible les collections diverses d’oiseaux provenant, tant de l’ancien fonds du cabinet, que celle de Mr Tochon, & la sienne, dont les individus seroient reconnoissables par des marques particulières qu’il apposeroit à chacun d’eux » 185. Quoiqu’il en soit, les collections Mouton-Fontenille entrent au musée et sont présentées lors de son ouverture au public en 1827. Après avoir accepté cette proposition d’achat, la Commission s’était empressée d’ajouter que Mouton-Fontenille « s’interdi[sait] désormais de former aucun recueil particulier d’oiseaux et de minéraux & de se borner uniquement aux soins et à l’entretien des collections de la Ville qui lui sont confiées » 186. Afin que le cabinet puisse continuer son accroissement, il était toutefois proposé l’éventualité d’allouer une somme annuelle pour les acquisitions : « Il seroit peut-être à propos, Monsieur le Maire, que vous voulussiez affecter une somme annuelle, destinée à augmenter peu à peu les collections déjà existantes, soit par échange, soit par acquisitions d’objets, à mesure qu’ils se présenteroient » 187. L’administration se montrait, en définitive, plus réticente à acquérir des collections spécialement formées par son conservateur qu’à accroître les collections en les diversifiant par l’échange ou l’achat ponctuel ; Mouton-Fontenille, lui, se montrait peu enclin à faire entrer des collections qu’il n’avait pas lui-même constituées. On constate que, douze ans après son installation, Mouton-Fontenille en est toujours à effectuer les mêmes démarches pour accroître le cabinet : en 1827, il demande l’autorisation d’acheter sur les marchés les oiseaux du pays manquant aux collections et contribuer ainsi à « l’éclat de l’ornithologie du Cabinet » 188 ; en 1828, il renouvelle sa demande d’effectuer un voyage de collecte comme le montre cette lettre mentionnée par Christian Bange et datée du 29 septembre 1828 dans laquelle il fait remarquer qu’ « il seroit utile qu’il se [rendît] sur les lieux [= en Allemagne] pour choisir un certain nombre de ces morceaux de quartz, dont on placerait les plus jolis dans le cabinet d’histoire naturelle, et les autres seraient employés à des échanges » 189. Son vœu se réalise enfin en 1829, récompensant ses efforts et sa persévérance ; il est enfin autorisé à effectuer, dans le cadre de son activité professionnelle, son premier voyage 190 durant lequel il visite les carrières de Montagny, Charly, Millery, pont d'Alaïs, Grézieux-la-Varenne, Brignais, Brindas, Vaugnerais, Yzeron et St-Bonnet-le-Froid : « Le fruit de ces courses a été une belle série de roches qui ont considérablement augmenté la Géologie du Département » 191 (Fig. 17).
Les autres collections entrées sous Mouton-Fontenille Sous l’ère Mouton-Fontenille, relativement peu de collections sont entrées durant la première décennie de son mandat : un contexte économique difficile, des travaux au palais Saint-Pierre qui s’éternisent (treize ans), une cohabitation avec les Beaux-Arts peu productive, une administration des établissements du palais des Arts compliquée. Il faut ajouter un Mouton-Fontenille rarement disposé à faire entrer des collections autres que les siennes. En 1820, la ville acquiert une collection d’oiseaux achetés à Paris ; il s’agit de la collection de Mr Tochon (ou Tôchon) vendue par Magneval. Mouton-Fontenille rend un rapport accablant sur cette acquisition 192, les oiseaux y sont décrits avec les mêmes termes que pour ceux du cabinet de la Déserte, « tombant par morceaux, soit de vétusté, soit pas les ravages des insectes, soit par l’effet de l’humidité » ; outre les problèmes de conservation, il fait remarquer qu’ils sont « empaillés contre les principes de l’art, maigres, efflanqués, sans grâce ni tournure, dans des positions forcées ; ils sont malpropres, mal choisis, mal dénommés (…) ». Il fait état, comme pour les oiseaux de la Déserte, de l’usage néfaste des produits conservatifs : « les drogues avec lesquelles on les a frottés, ont tellement altéré leurs peaux, qu’elles se sont moisies, rancies, et qu’elle se trouvent dans un état complet de décomposition ». Le rapport fait six pages ; aucun oiseau ne trouve grâce à ses yeux sur les 606 que compte la collection 193, soit montés sur des arbres artificiels, soit enfermés dans des cages en acajou, ou dans des cages et des cloches en verre de Bohème. Un nouveau rapport 194 est adressé au maire lorsque celui-ci sur la demande d’Artaud souhaite voir ces oiseaux placés dans les armoires à la place des siens. Se justifiant de nouveau sur la mauvaise qualité des spécimens, avec l’avis du même Dufresne qui l’avait incité à ne pas accueillir cette collection, Mouton-Fontenille nous apprend encore que cette collection fut déposée dans des armoires sans vitre dans lesquelles elles restèrent au moins huit mois, ce qui aggrava leur état. En 1826, les membres de conseil d’administration écrivent au sujet de cette collection, « qu’elle languit ignominieusement renversée par terre, exposée en cet état, à la poussière, & surtout aux insectes qui la dévorent » 195. Avec l’ouverture du cabinet au public prévue en 1826 (mais qui sera effective seulement en 1827), une nouvelle ère d’entrées de collections commence. Il obtient de nouveaux ouvrages pour déterminer les spécimens : Hauÿ et Brard pour les minéraux ; Lamarck et Draparnaud pour les coquilles ; Panckoucke (L’encyclopédie méthodique) pour les madrépores et coraux ; Buffon et Temming pour les oiseaux 196. Le 13 mai 1826, le cabinet se voit proposer l’acquisition d’une collection d’oiseaux venant de Calcutta, le mandat de paiement sera donné le 29 mars 1827 pour la somme de 1900 f. Il s’agissait de la collection des frères Gourd pour laquelle l’inventaire manuscrit montre une grande variété d’oiseaux exotiques (135) et neuf « quadrupèdes » dont un caïman, deux « vampires » et quelques mammifères 197. Jean-Baptiste André (dit Jean) Gourd (1800-1867) était négociant à Lyon au 11 rue du Bât-d’Argent. A la même époque, Geoffroy-Saint-Hilaire du Muséum national d’histoire naturelle entre en contact avec le muséum de Lyon et accepte d’en devenir le « correspondant » 198 ; il se propose de demander au ministère l’autorisation de céder des doubles des collections du Muséum pour celui de Lyon qui venait juste d’ouvrir ses portes au public : « Mr. le Maire de la ville de Lyon m’annonce qu’après d’assez grands sacrifices et d’assez longs travaux, il est parvenu à former un Cabinet d’histoire naturelle dont l’ouverture au public a eu lieu le 19 juillet der [dernier]. Malheureusement ce cabinet ne possède que fort peu de choses en quadrupèdes ; il n’existe point encore de poissons ; les minéraux s’y trouvent qu’en petit nombre ; il est assez riche seulement en espèces assez variées d’oiseaux et d’insectes. La ville, à raison des premières dépenses qu’elle a faites, ne saurait de longtemps s’imposer de nouveaux sacrifices pour le même usage ; c’est donc à la munificence de l’administration du Jardin du Roi qu’elle a recours pour enrichir son cabinet des objets qui lui manquent. Mr. le maire a été encouragé dans sa demande par Mr. Geoffroy St Hilaire qui lors de son passage dans cette ville, lui a fait espérer que le Muséum pourvu de doubles en tous genres, pourrait combler, en partie du moins, les vides des galeries du Muséum lyonnais » 199. Dans la presse, l’enrichissement des collections de Lyon par le muséum de Paris est accueilli avec enthousiasme : « On assure que le Cabinet d’histoire naturelle, ouvert depuis quelques mois (…), va s’enrichir d’une grande quantité d’articles du Muséum de Paris, dont S. Exc. le ministre de l’intérieur a ordonné la disposition en notre faveur. C’est, dit-on, M. Geoffroi-Saint-Hilaire qui a sollicité cet envoi et qui sera chargé de l’exécuter » 200. Cet envoi s’est fait en deux temps : un premier ensemble de 10 [en réalité 9] mammifères et 130 [en réalité 76] oiseaux du Muséum de Paris choisis pour celui de Lyon par Etienne et Isidore Geoffroy-Saint-Hilaire, ainsi que deux modèles en plâtre de deux monstruosités humaines : Thlysencephalus theresinatus et Thlysencephalus julianatus 201. Or Mouton-Fontenille, une nouvelle fois, se montre peu satisfait et rédige un long rapport sur l’état de la collection en présence d’un juge de paix 202 : des animaux sont manquants et la plupart en très mauvais état selon lui (seuls 10 sont présentables). Loin de louer son correspondant et donateur, Mouton-Fontenille consigne soigneusement, dans un rapport envoyé au maire, tous les défauts observés pour chaque spécimen, y ajoutant les erreurs de nomenclature et les spécimens que le cabinet de Lyon possédait déjà et dont on aurait pu se dispenser d’envoyer ; il conclut avec ces mots : « En général on peut affirmer, que toutes ces peaux d’oiseaux, à l’exception de celles indiquées dans l’article 11, sont très-mal préparées, vieilles, en très-mauvais état, altérées dans leurs couleurs, attaquées par les insectes, comme on peut s’en convaincre en soufflant sur les plumes, et ne peuvent figurer dans aucune collection ». E. Geoffroy-Saint-Hilaire goûta peu d’être convoqué directement par le maire sur la question des pièces manquantes : « Comment votre conservateur M. Mouton-Fontenille ne m’en a-t-il point prévenu ? » 203. Le complément est caissé et expédié par la diligence, arrivant au musée le 12 octobre 1827 : il comprend un ensemble de 44 oiseaux, que Mouton-Fontenille décrit en ces termes : « En général on peut dire que ce second envoi ne vaut guères mieux que le premier ; que les peaux sont mal préparées, mal choisies ; les oiseaux d’un petit volume, faibles en couleur, et que sur les 44, il n’y en aura qu’un très-petit nombre dont on pourra tirer parti. » 204. Malgré ces relations peu enthousiasmantes, Geoffroy-Saint-Hilaire continue de choisir des objets pour le cabinet de Lyon, avec un nouvel envoi de coquilles et d’oiseaux, le 21 juillet 1828, suivi d’un nouveau rapport rédigé par Mouton-Fontenille où chaque coquille est notée suivant son état (la plupart mauvais), regrettant que les noms latins et français n’aient pas été marqués, etc. 205. Cet envoi correspond certainement à l’information parue dans la presse selon laquelle : « une collection de coquillages et de plusieurs oiseaux étrangers, venant notamment de l’île de Cayenne, a été envoyée par le gouvernement au cabinet d’histoire naturelle de Lyon » 206. Mais les envois les plus importants du Muséum national ne prendront toute leur véritable mesure qu’avec l’arrivée de Claude Jourdan, correspondant et ami d’Isidore Geoffroy-Saint-Hilaire et de Bibron. Il faut encore relever, toujours pour ces années 1827/1828, l’arrivée de la collection de coléoptères de Lafont contre les débris du cabinet d’histoire naturelle dont on a déjà parlé ; elle renferme : « 4149 Coléoptères contenu dans 24 cadres dont 2200 espèces formant ensemble 403 genres » 207. Peu avant le 1er juin 1829, la fameuse taxidermie de zèbre de Decreuze, moquée par la presse, entre elle aussi au musée avant sa première exposition le dimanche 12 juillet 208. Une commission menée par l’école royale vétérinaire de Lyon à la demande du maire dût vérifier si la taxidermie était bien conforme à ce qu’on attendait d’un zèbre et s’il méritait d’être laissé dans le cabinet 209. Ce zèbre est toujours présent en collection ; il est l’un des plus anciens spécimens de mammifères actuellement conservés (Fig. 18).
Peu avant l’affaire du zèbre, Decreuze avait déjà proposé ses collections à la ville, à l’achat ou par échange, celui-ci demandant aux membres du jury du cabinet d’histoire naturelle de venir voir chez lui les pièces proposées, « sans l’accompagnement de Mr Mouton-Fontenille » 210. On sait aussi que c’est lui qui empailla le « gros Lion du palais Saint-Pierre » qui fut placé en 1826 dans une cage en fer forgé pour protéger le public de ses « morsures » (David, 1998). Ce spécimen correspond peut-être à une taxidermie encore présente aujourd’hui mais le lien n’a pas été établi de manière formelle 211. La dernière collection entrée sous Mouton-Fontenille, le 27 octobre 1829, est celle de l’entomologiste Hugues-Fleury Donzel (1791-1850), acquise par la ville pour la somme de 1200 f. 212. Il s’agit de ses Lépidoptères exotiques, entendu que ses Lépidoptères européens sont la propriété de la Société linnéenne de Lyon (dépôt au centre Louis Lortet depuis 1987). Cette collection, dont on ne sait ce qu’elle est devenue, consistait « en 30 cadres de 19 pouces de largeur sur 13 de hauteur », et était « composée de 530 ou 540 individus de Lépidoptères exotiques, tant d'Amérique que d'Asie, tous classés & nommés d'après la méthode de Latreille » 213. On ne connaît pas l’implication exacte de Mouton-Fontenille dans la volonté du musée d’éliminer les collections des anciens cabinets, le conservateur des Beaux-Arts étant sans doute plus réfractaire encore aux vieux objets poussiéreux d’histoire naturelle. Quoi qu’il en soit, il faut considérer les collections de l’ancien musée comme en grande partie perdues ; celles entrées sous Mouton-Fontenille sont également fort rares. Concernant les conditions de conservation, elles n’étaient pas aussi mauvaises qu’on se l’imagine. Les infestations étaient certes fréquentes (en 1813 par exemple, des dégradations importantes ont été subies par les oiseaux sous cloche à cause des insectes) mais l’utilisation de produits insecticides permettait de les maintenir longtemps : arsenic, mercure etc. ; térébenthine dans laquelle les oiseaux étaient plongés ; conservatifs utilisés au moment du montage des peaux ; vapeur de sublimé corrosif (= chlorure de mercure), etc. Mouton-Fontenille n’employait pas de produits chimiques pour ses taxidermies les jugeant trop dangereux ; il avait toutefois demandé une armoire à fumigation pour le traitement des collections attaquées 214. Quoi qu’il en soit, il ne reste aucune trace des collections d’oiseaux de Gourd et de Magneval, les herbiers d’oiseaux de Mouton-Fontenille ont disparu en totalité ; aucun de ses oiseaux empaillés n’a pu être retrouvé à ce jour ; ils ont probablement été détruits en totalité ; aucune trace non plus des collections de papillons et de coléoptères, lesquelles sont particulièrement sensibles aux anthrènes ; pas plus que celle des coquilles et des fossiles entrés en cette période ou sauvés des restes des anciens cabinets. Avec la pratique de mise en collection générale, la refonte des étiquettes originales par les préparateurs ou les amateurs bénévoles qui sont intervenu successivement pendant des décennies, il devient exceptionnel de trouver des traces de ces anciens objets. Seule la collection de 206 minéraux entrée en 1826 a été en grande partie retrouvée grâce aux étiquettes des spécimens et au catalogue très détaillé qui en a été dressé 215(Fig. 19).
On trouve encore en collection quelques pièces dont les informations sont de la main de Mouton-Fontenille, mais elles restent très rares ; citons une omoplate de « Dauphin du Gange » acquise d’Alfred Duvaucel en novembre 1823 (Fig. 20) et une carapace de tortue marquée « Le Caret » avec une référence bibliographique à La Cépède (Fig. 21).
On peut enfin relever une genette tuée à Roche-Cardon en 1810 ou 1820 par « Mr Hénon » 216 dont la famille était très liée à Mouton-Fontenille et qui a pu entrer au musée sous son ère (Fig. 22). L’espèce apparaît d’ailleurs dans sa liste des quadrupèdes du département du Rhône 217, liste non datée mais probablement faite dans le temps où il était secrétaire de la Société royale d’Agriculture, soit de 1806 à 1811, ou même avant 218 ; Gilibert (1802 : 251-255) l’avait signalée par une capture à Dardilly du même Hénon en 1801. Il s’agit, tant pour le spécimen que pour les mentions écrites, des tous premiers témoignages de la présence de cette espèce dans le département du Rhône.
Parmi les ouvrages, la présence au Centre Lortet d’un exemplaire de L’histoire naturelle des oiseaux, par Belon, 1555 est possiblement rentré dans la période Mouton-Fontenille. Cet ouvrage figure en effet sur une liste des ouvrages choisis et proposés par le jury pour le cabinet d’histoire naturelle en 1826 219. Plusieurs ouvrages de Mouton-Fontenille font partie de la bibliothèque de l’ancien muséum et y sont toujours présents : son Tableau des systèmes botaniques généraux et particuliers (1798), son Système des plantes (1804-1805), ainsi que son Traité élémentaire d’ornithologie & L’Art d’empailler les oiseaux (1811). |
L’histoire du muséum d’histoire naturelle est jalonnée d’événements variés, tantôt bénéfiques (inauguration de galeries ou de cours de botanique, création de la Faculté des sciences qui redonne vie aux collections), tantôt néfastes comme les pillages lors de la Révolution, des déménagements parfois compliqués, des éliminations, qui ont fait dire à Fontannes (1873) : « Que de fois, hélas ! des collections offertes à la ville ou payées de ses deniers ont été ainsi abandonnées à la destruction ». Associés à ces événements, des personnages jouent un rôle aussi important que le contexte social, politique et économique. Ainsi Gilibert, malgré le manque de moyens pour disposer ses collections dans une période révolutionnaire très mouvementée, a su maintenir ses collections avec beaucoup de soin ; les divers états des collections qu’il a dressés en cette période et jusqu’à son décès, témoigne de son attachement à l’histoire des fonds. Mouton-Fontenille, dans une accession tardive à la tête du cabinet, ne se soucie guère des « vieilleries », plus réceptif à l’esthétique des objets dans un idéal perfectionnisme ; aussi se hâte-t-il de procéder au remplacement des spécimens par les siens chaque fois qu’il est possible ; s’ajoute un intérêt personnel et mercantile : il vend ses collections et les dispose à la place de celles existantes ; il fustige l’administration lorsqu’elle fait des acquisitions à d’autres que lui, les décrivant avec les adjectifs les plus négatifs. Après avoir dressé un tableau tout aussi épouvantable du cabinet de la Déserte, il se sépare de la plus grande partie à la fois sous la pression du conservateur des Beaux-Arts, Artaud, avec qui la cohabitation est difficile, et par désintérêt personnel pour ce type de collections. C'est pourquoi, cette période de l’histoire du musée, dite Mouton-Fontenille, est plus désastreuse que jamais ; toutes les richesses accumulées des anciens cabinets si patiemment colligées par Gilibert ont été dépouillées par son successeur ; il n’en reste aujourd’hui que des traces infimes, insignifiantes au regard de ce qui devait exister ; elles sont à peine moins nombreuses que les collections entrées sous son mandat. Là où beaucoup de musées ont subi des pertes durant la Révolution ou durant les grands conflits du XXe siècle, le muséum de Lyon a, en plus, vu disparaître son héritage par l’un de ses conservateurs ; seuls les herbiers qui n’ont pas été récupérés par Mouton-Fontenille ont connu une meilleure destinée au Jardin botanique de Lyon. Mouton-Fontenille a passé sa vie dans un idéalisme déçu, voyant en Gilibert un adversaire et un obstacle à ses projets, loin de trouver en lui une aide qui lui permît d’accéder à la place convoitée. Les deux hommes ont eu les mêmes passions et ont aspiré aux mêmes fonctions : préparer, conserver, professer, et voyager. Mouton-Fontenille avait adopté toute la démarche de Gilibert, il ne lui manquait que de lui prendre sa place. |
Ils vont d’abord à Louis David à qui je destinais cet article. Trois semaines avant de nous quitter, il me confiait se demander si Mouton-Fontenille avait fait la moindre chose pour le musée ; je voulais lui répondre par ce texte. Je remercie également Déborah Dubald (European University Institute, Florence) et Mélanie Thiébaut (Université Lyon-I) pour le partage d’archives et d’informations, ainsi que Marc Philippe (Université Lyon-I) pour ses recherches et pour avoir su trouver l’acte de mariage de Mouton-Fontenille que j’avais si longuement recherché. Que soient également remerciés Christian Bange (professeur émerite), Blandine Bärtschi (Université Lyon-I), David Besson (musée des Confluences), Michel Philippe et Frédéric Danet (Jardin botanique de Lyon) pour l’aide et les renseignements apportés ; François Vigouroux et Olivier Bathellier (Musée des Confluences) pour la recherche ou la prise de vues de spécimens. Enfin, cette étude n’aurait été permise sans la disponibilité du personnel des archives (AD, AL, AN, AML, BML), en particulier notre ancienne collègue Séverine Benture. |
Alglave E., 1874. Voyage scientifique à Lyon, III. Le Muséum d’histoire naturelle. La Revue scientifique (2) 12 : 297-303 [1873]. Anonyme 1818. Biographie des hommes vivants ou histoire par ordre alphabétique de la vie publique de tous les hommes qui se sont fait remarquer par leurs actions ou leurs écrits. Tome quatrième. Paris, L.G. Michaud, 580 p. Bange C., 2009. La réception de Linné et le mouvement linnéen à Lyon de 1750 à 1830. Bulletin de la Société linnéenne de Lyon, hors-série n°1 : 41-59. Barale G., 2017. Mouton-Fontenille de Laclotte Marie-Jacques-Philippe (1769-1837) : 936-937. In Dominique de Saint-Pierre (dir.), Dictionnaire historique des Académiciens de Lyon 1700-2016. Barthélémi A., 1991. Une famille de chirurgiens montpelliérains aux XVII et XVIIIe siècles, les Germain. Revue du Cercle généalogique du Languedoc, 51 : 14-17. Barthélémi A., 1993. Du négoce à la robe : Jean Mouton de la Clotte. Revue du Cercle généalogique du Languedoc, 59 : 18-22. Barthélémi A., 2003. Un « mauvais sujet » dans une honorable famille montpelliéraine au XVIIIe siècle, les Mouton de la Clotte. Revue du Cercle généalogique du Languedoc, 100 : 84-85. Bittard des Portes R., 1906. Contre la terreur. L’insurrection de Lyon en 1793. Le siège, l’expédition du Forez, d’après des documents inédits. Paris, Emile-Paul, 586 p. Chassant A. & Tausin H., 1878. Dictionnaire des devises historiques et héraldiques avec figures et une table alphabétique des noms. Tome II. Dictionnaire des devises nobiliaires et historiques. Paris, Dumoulin, 385-754. David L., 1998. Histoire du muséum de Lyon. Lyon, ARPPAM, 96 p. De la Roque L. & Barthélémy E. (de), 1865. Catalogue des gentilshommes de Languedoc (généralité de Montpellier) qui ont pris part ou envoyé leur procuration aux assemblées de la noblesse pour l’élection des députés aux états généraux de 1789. Paris, E. Dentu & A. Aubry, 56 p. Dufresne L., 1820. Taxidermie ou l’art de préparer et de conserver la dépouille de tous les animaux, pour les musées, les cabinets d’histoire naturelle, etc. Paris, Déterville, 102 p. Dumas J.-B., 1832. Histoire de l’Académie royale des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Lyon, Tome II. Lyon, Giberton et Brun, 1839, 640 p. Dusoulier F., 2012. L’herbier d’oiseaux du Musée départemental des Hautes-Alpes (Gap) : une collection patrimoniale singulière et méconnue. Bulletin de la Société d’études des Hautes-Alpes, 2011-2012 : 83-108. Fontannes F., 1873. Le Muséum d’histoire naturelle de Lyon. Notice historique. Lyon, Georg, 31 p. Gérard R., 1896. La botanique à Lyon avant la Révolution et l’histoire du jardin botanique municipal de cette ville. Paris, Masson & Cie, librairie de l’Académie de médecine, 95 p. (Initialement publié dans les Annales de l’université de Lyon). Gilibert J.-E., 1798. Histoire des plantes d’Europe, ou élémens de botanique pratique (…). Lyon, Amable Leroy, 446 p. (tome premier) et 482 p. (tome second). [Seconde édition, 1808]. Gilibert J.-E., 1800. Le médecin naturaliste, ou observations de médecine et d’histoire naturelle. Lyon, Reymann et Paris, Croullebois, 340 p. Gilibert J.-E., 1802. Abrégé du système de la nature, de Linné, Histoire des Mammaires ou des Quadrupèdes et Cétacées. Contenant, 1°. La traduction libre du texte de Linné et de Gmelin ; 2°. L’extrait des observations de Buffon, Brisson, Pallas, et autres célèbres zoologistes ; 3°. L’anatomie comparée des principales espèces : le tout relatif aux Quadrupèdes et aux Cétacées les plus curieux et les plus utiles. Lyon, chez Matheron et Cie, 576 p., 28 pl. Grognier L. F., 1814. Notice sur M. Gilibert : 80-86. Compte rendu des travaux de la Société royale d’Agriculture, Histoire naturelle et Arts utiles de Lyon, pendant le cours de l’année 1814. Lyon, Imprimerie de Ballanche, 96 p. Grognier L. F., 1817. Compte rendu des travaux de la Société royale d’Agriculture, Histoire naturelle et Arts utiles de Lyon, depuis le 7 décembre 1814, jusqu’au 6 septembre 1815. Lyon, J.M. Barret, 212 p. Grognier L. F., 1818. Compte rendu des travaux de la Société royale d’Agriculture, Histoire naturelle et Arts utiles de Lyon, pendant le cours de l’année 1817. Lyon, J.M. Barret, 212 p. Hoefer J. C. F., 1871. Nouvelle biographie générale depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours, avec les renseignements bibliographiques et l’indication des sources à consulter. Tome trente-sixième. Monniotte – Murr. Paris, Firmin Didot & fils, 512 p. Jougla de Morenas H., 1948. Grand Armorial de France, tome V. Catalogue général des armoiries des familles nobles de France comprenant les blasons des familles ayant possédé des charges dans le royaume et de celles ayant fait enregistrer leurs armoiries en 1696. De la noblesse de l’Empire des anoblissements de la Restauration donnant les tableaux généalogiques de familles confirmées dans leur Noblesse entre 1660 et 1830. Paris, Société du Grand Armorial de France, 473 p. Locard A., 1900. Rapport sur les travaux de la classe des sciences : 21-72. Le deuxième Centenaire de l’Académie nationale des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Lyon 1700-1900. Lyon, A. Rey, 241 p. Magnin A., 1891. Notices sur F. Nicodemi et G. Dejean, anciens directeurs du Jardin botanique. Annales de la Société botanique de Lyon, Notes et mémoires, 17 : 1-25 [1890]. Magnin A., 1906. Prodrome d’une histoire des botanistes lyonnais. Lyon, Association typographique, 140 p. [extr. des Mémoires de la Société botanique de Lyon, t. XXXI-XXXII]. Magnin A., 1907. Additions et corrections au prodrome des botanistes lyonnais. Mémoires de la Société botanique de Lyon, 32 : 103-141. Meyran O., 1937. Un botaniste lyonnais méconnu, Mouton-Fontenille (1769-1837). Annales de la Société linnéenne de Lyon, 80 : 7-15 [9 mars 1936]. Mouton-Fontenille J.-P., 1798. Analyse du système sexuel de Linné. Lyon, chez l’auteur, 66 p. Mouton-Fontenille J.-P., 1801. Tableau des systêmes de botanique, généraux et particuliers (…) suivi de deux mémoires (…). Lyon, Bruyset Ainé, 212 p., 100 tab., 95 p., 55 p. Mouton-Fontenille J.-P., 1804-1805. Système des Plantes, contenant les Classes, Ordres, Genres et Espèces ; les caractères naturels et essentiels des Genres ; les phrases caractéristiques des Espèces ; la citation des meilleures Figures ; le climat et le lieu natal des Plantes ; l’époque de leur floraison ; leurs propriétés et leurs usages dans les Arts, dans l’Économie rurale et la Médecine : extrait et traduit des Ouvrages de Linné. Lyon, Bruyset & Buynand, tome 1 : i-lxxxix, 1-532 (an XII/1804) ; tome 2 : 1-467 ; tome 3 : 1-648 ; tome 4 : 1-518 ; tome 5 : i-xliv (an XIII/1805). Mouton-Fontenille J.-P., 1809a. Linné François ou Tableau du règne végétal d’après les principes et le texte de cet illustre naturaliste. Montpellier, Auguste Seguin, 5 volumes. [Mouton-Fontenille J.-P., 1809b]. Catalogue raisonné des livres de botanique qui composent la bibliothèque d’un amateur, déposée chez Yvernault et Cabin. Lyon, 41 p. [Présent à la bibliothèque municipale de Lyon sous la cote 362015]. Mouton-Fontenille J.-P., 1810. Coup-d’œil sur la botanique, discours prononcé le mercredi 9 mai 1810, jour de l’ouverture du Cours d’Histoire naturelle à l’Académie de Lyon. Lyon, Yvernault et Cabin, 79 p. Mouton-Fontenille J.-P., 1811a. Traité élémentaire d’ornithologie, contenant : 1° Les Principes et les Généralités de cette Science ; 2° l’Analyse du Système de Linné sur les Oiseaux ; 3° la Synonymie de Buffon ; 4° les Caractères des Genres ; 5° la Description et l’Histoire des Espèces Européennes ; suivi de l’Art d’empailler les Oiseaux avec Dix Planches en Taille-douce. Lyon, Yvernault et Cabin, i-xxxij, 1-159, pl. I-V. Mouton-Fontenille J.-P., 1811b. L’art d’empailler les Oiseaux, contenant des principes de théorie nouveaux, et des procédés de pratique avantageux pour conserver à chaque Famille ses formes et ses attitudes naturelles ; faisant suite au Traité élémentaire d’Ornithologie. Lyon, Yvernault et Cabin, i-xvj, 1-171, pl. I-IV. Mouton-Fontenille J.-P., 1812. Réponse à M. Louis-Aimé Martin, sur sa critique du Traité élémentaire d’ornithologie de M. Mouton-Fontenille (…). Lyon, Etienne Cabin & Paris, Brunot-Labbe, 64 p. Mouton-Fontenille J.-P., 1815a. La France en convulsion pendant la seconde usurpation de Buonaparte. Lyon, impr. J.-M. Boursy, i-viij, 1-56 [texte principal : 1-30 ; notes : 31-56.] Mouton-Fontenille J.-P., 1815b. La France en délire, pendant les deux usurpations de Buonaparte. Paris, chez Saint-Michel & Lyon, chez Guyot, impr. J.-M. Boursy, i-xx, 1-187 [texte principal : 1-122 ; notes : 123-187.] Nicollet F.-N., 1893. Le Muséum de Gap. Bulletin de la Société d’études des Hautes-Alpes, 11 (5) : 315-351. Rochaix A., 1906. L’enseignement des Sciences médicales et pharmaceutiques à Lyon de 1792 à 1821. Thèse. Paris & Lyon, A. Maloine, 172 p. Roux C., 1908. Bibliographie méthodique des principaux manuscrits français relatifs aux sciences naturelles. Société d’Agriculture, Science et Industrie de Lyon. Lyon, Rey, 112 p. Roux C., 1914. Histoire comparée et résumée des Écoles centrales du Rhône et de la Loire (1796-1803) et de leurs jardins botaniques. Annales de la Société linnéenne de Lyon, 60 : 161-189 [1913]. Sansot A., 1985. Catalogue des manuscrits de la Société d’Agriculture de Lyon, conservés à la bibliothèque municipale de la Part-Dieu. Diplôme supérieur de bibliothécaire, mémoire de fin d’études. Villeurbanne, ENSIB, 63 p. |
|
Cédric Audibert Musée des Confluences, Centre Louis Lortet de conservation et d’étude des collections, 13A rue Bancel, 69007 Lyon, France. Email : |
Audibert C., 2020. Marie Jacques Philippe Mouton-Fontenille de la Clotte et Jean-Emmanuel Gilibert : rivalités et rancœurs entre deux figures de la botanique lyonnaise. Colligo, 2(2). |