Un alguier de Gourhaël de Pénenprat (1826-1882) au Lycée Ampère de Lyon

 

The seaweed collection of Gourhaël de Pénenprat (1826-1882) at the Lycée Ampère de Lyon

 

  • Cédric Audibert

 

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Résumé / Abstract


Un petit alguier, actuellement conservé dans un lycée public à Lyon, est présenté et documenté. Il est avant tout un témoignage d’une activité de collecte des algues qui associait naturalisme et approche esthétique, activité assez répandue durant la première moitié du XIXe siècle, notamment en Bretagne. Sa présentation est très comparable à d’autres collections réalisées avant lui et dans la même région. L’attribution précise de cet alguier et les recherches biographiques menées sur son auteur, Gourhaël de Pénenprat, permettent de circonscrire la zone la plus probable d’où proviennent les spécimens.

Mots clés : Alguier - album - Gourhaël de Pénenprat - Colonel du Dresnay - Agathe Gourcuff - Bretagne - XIXe siècle

A small album of seaweeds, currently kept in a public high school in Lyon, is presented and documented. It is above all a testimony of the activity of seaweed collecting that was associated with naturalism and the aesthetic approach, a quite common activity in the first half of the 19th, particularly in Brittany. His presentation is very comparable to other collections made before him and in the same region. The precise attribution of this seaweed collection and the biographical research carried out on its author, Gourhaël de Pénenprat, makes it possible to define the region from where the seaweeds were collected.

Keywords: Seaweed collection - album - Gourhaël de Pénenprat - Colonel du Dresnay - Agathe Gourcuff - Brittany - 19th century

 

 


Plan


Introduction

Présentation de l’alguier

Contenu de l’alguier

Eléments biographiques de l’auteur

Conclusion

Bibliographie

 


Texte intégral


 

Introduction

 

Le collège-lycée Ampère, plus ancien établissement scolaire lyonnais (fondé en 1519) a abrité, par le passé, de nombreuses collections d’histoire naturelle et d’objets techniques qui, pour beaucoup, n’ont jamais été retrouvés. Le cabinet de curiosités du R.P. La Chaize n’a guère laissé de traces, pas plus que les collections d’histoire naturelle de Mouton-Fontenille qu’il a peut-être reprises par-devers lui. La collection entomologique d’Eugène Foudras et quelques naturalisations ont été transférées au muséum d’histoire naturelle de Lyon au début des années 1990.

Le lycée Ampère conserve aujourd’hui des collections zoologiques variées datant de la fin du XIXe siècle jusqu’à la moitié du XXe siècle. Celles-ci ont été constituées dans un but pédagogique à partir d’achats aux fournisseurs, tels que Boubée, Auzoux et Deyrolle, et des dons de particuliers.

Le lycée possède également des herbiers cryptogamiques dont le plus connu est celui de Noël-Antoine Aunier qui rassemble des bryophytes, des ptéridophytes, des lichens et des champignons, de la région lyonnaise au début du XIXe (Philippe, 2014). A côté de cet herbier scientifique et historique se trouve un alguier extrêmement soigné, signé de Pénenprat et objet de la présente note.

 

Présentation de l’alguier

 

Presque aucune indication n’est donnée dans l’inventaire des herbiers de la région Rhône-Alpes (Faure, 2006 : 153). Les algues séchées sont réunies dans un album-photo (format : 48 x 31 cm) relié cuir, intitulé « Plantes marines recueillies sur les Côtes de Bretagne par Gourhaël de Pénemprat T. C. » et « album – plantes » sur la tranche. La présentation, extrêmement méticuleuse, témoigne d’un grand savoir-faire pour disposer correctement les échantillons avec une évidente recherche esthétique dans le rendu. Les parts d’alguier sont insérées comme des photos à l’aide de fentes ménagées aux quatre coins de feuillets bleus, à raison de deux parts par feuillet, disposées en mode « portrait », comme autant de clichés ou portraits de ces algues. Elles sont tamponnées « de Penenprat » dans le coin inférieur droit.

Cette présentation en album-photo, sur feuillets bleus aux quatre coins fendus, rappelle celle de deux alguiers plus anciens issus de la même région : l’alguier du colonel du Dresnay (1770-1837), intitulé « Collection de Thalassiophytes du Finistère », réalisé en 1820-1827 (Dizerbo, 1982) et celui d’Agathe de Gourcuff (1818-1857), nommé « Collection de Plantes marines recueillies sur les bords de l’Odet » et réalisé un peu plus tard, en 1838 1, 2. Le premier est conservé à la bibliothèque municipale de Brest, le second à celle de l’abbaye de Landévennec. Il paraît assez évident que l’alguier de Gourhaël de Pénenprat se situe dans la lignée de ces deux recueils, dont la présentation très soignée a pu susciter l’engouement et faire d’autres émules.

 
Fig. 1. Part de l'alguier Gourhaël de Pénenprat (Fucus corneus)
 

 

Contenu de l’alguier

 

L’album Gourhäel de Pénenprat comprend 210 échantillons dont quelques-uns ont été extraits de l’album et placés dans les boîtes de l’herbier Aunier. Le classement suit l’ordre alphabétique des genres, et à l’intérieur celui des espèces, à la différence des alguiers du Dresnay et Gourcuff qui avaient adopté un classement systématique. La numérotation des échantillons est reportée sur la part correspondante, dans le coin supérieur droit.

Il comprend un bel ensemble d’algues vertes, rouges et brunes, mais aussi des sertulaires (hydrozoaires) et des flustres (bryozoaires), d’aspect algoïde et fréquemment assimilées à des algues. La liste totale comprend 138 taxa, bon nombre d’espèces étant représentées par plusieurs parts. Une table générale manuscrite a été établie par l’auteur. En nombre d’espèces, l’alguier de Gourhaël de Pénenprat est intermédiaire entre celui de Gourcuff (60) et celui de du Dresnay (235).

Les espèces présentes indiquent un effort particulier de recherche dans l’infralittoral avec de nombreuses algues rouges comme les Céramiales dont beaucoup occupent l’étage inférieur de l’infralittoral, telles que Delesseria sanguinea, Desmarestia aculeata et D. ligulata, Brongniartella byssoides…, des espèces qui seront trouvées dans la zone des plus basses mers ou sur épaves.

Malheureusement aucune localité et date précises ne sont données contrairement aux alguiers du colonel du Dresnay et d’Agathe Gourcuff, limitant son intérêt scientifique même si l’on peut inférer qu’une majorité de spécimens ont été pêchés en Bretagne Nord (Morlaix – Saint-Brieuc), d’après les renseignements obtenus sur son auteur.

Eléments biographiques de l’auteur  

L’identification précise de l’auteur de l’alguier est facilitée par la mention des initiales « T. C. » figurant sur la première page de l’album. Les membres de cette honorable famille Gourhaël de Pénenprat étant fort peu nombreux, nous pouvons sans risques, l’attribuer à Thomas Corentin, principal de collège, qui vécut au XIXe siècle.La famille Gourhaël de Pénenprat (variantes Pénanprat, Pénemprat, Pénamprat), issue de la vieille noblesse bretonne (Le Vaillant de Pénamprat), est surtout établie au Finistère, Morbihan et Côtes-d’Armor. Le patronyme Gourhaël est originaire du pays d’Auray et est attesté depuis 1600 (Kerviler, 1905) et sous forme toponymique depuis le Moyen Âge. Le nom de terre partage l’étymologie de Penn ar Prad qui signifie bout (penn) de la prairie (ar prad) (Jacq & Cochard, 2009). Plusieurs membres de cette famille ont occupé des places dans les administrations comme les préfectures ou dans la magistrature, et dès le XVIIe siècle, on trouve plusieurs recteurs.

Thomas Corentin est né dans la commune de Bannalec (29), le 7 février 1826 3. Il est le fils de Thomas Jean Marie, notaire, et de Julie Pauline Justine Marie Thérèse Touart ou Thouart (dite Julie Azoline Marie Thérèse). Il s’est marié le 26 mars 1856 à Lamballe (22), près de Saint-Brieuc, avec Henriette Marie Levêque, propriétaire, fille d’un pharmacien 4, de laquelle il a eu quatre enfants, dont un est devenu juge de paix et un autre sous-préfet ; il a eu également un petit-fils militaire, décoré de la Légion d’honneur.

D’abord surveillant général au lycée impérial de Saint-Brieuc, puis à celui de Pontivy 5 (appelée Napoléonville), Thomas Corentin a été ensuite nommé principal aux collèges de Morlaix (18 septembre 1868) 6 et de Fougères (7 octobre 1868) 7. Il a été nommé officier d’académie le 27 décembre 1861 8 puis officier de l’Instruction publique le 10 janvier 1872 9. Quelques mois avant de mourir, le 29 septembre 1881 (Le Goff, 2015), il est de nouveau nommé principal du collège de Morlaix (29), où il décède le 6 février 1882 10 ; après des hommages rendus dans cette ville en présence des professeurs et des élèves, son corps est transféré pour être inhumé dans sa commune natale 11.

On sait fort peu de choses de sa vie et de ses intérêts, sinon qu’il a donné un cours public sur la photographie en 1868 12 et a inventé un procédé « pour reproduire en cuivre des gravures faites sur pierre » 13.

S’il est peu connu du monde naturaliste, ne faisant pas partie, semble-t-il, de sociétés savantes même locales, Gourhaël de Pénenprat est cependant cité comme auteur « d’une collection de plantes marines, de coquilles et de fossiles » 14 qu’il a cédée à l’Ecole normale de Cluny, répondant à un appel aux dons de celle-ci peu après l’ouverture de l’établissement au public en 1866. Le lien avec les collections d’algues est donc fait et la cession d’un alguier dans un autre établissement public loin de sa région d’origine pourrait avoir été réalisée dans des conditions similaires. Le format album photographique choisi par Gourhaël de Pénenprat est sans doute aussi à mettre en relation avec son intérêt pour la photographie.

En revanche il n’a pas été possible d’établir s’il s’agissait du même collectionneur dont il est fait question en 1882 dans le bulletin archéologique de l’Association bretonne à propos d’instruments archéologiques présentés dans les vitrines de l’Exposition archéologique de Châteaubriant (Sicotière, 1883).

   
Fig. 2 Lomentaria articulata Fig. 3. Ectocarpus viridans
 

 

Conclusion

 

Gourhaël de Pénenprat est un amateur totalement inconnu du monde botanique et qui le serait sans doute resté si aucune de ses collections n’avait été retrouvée. L’alguier conservé au lycée Ampère de Lyon témoigne de son vif intérêt pour l’algologie, la collecte d’échantillons marins, la détermination, le soin apporté à la préparation, en un mot la parfaite maîtrise de son activité. Le défaut d’informations des échantillons de cet alguier est en partie corrigé par la zone d’activité présumée de son récolteur qui a vécu la plus grande partie de sa vie entre les deux localités de Bretagne Nord : Morlaix et Saint-Brieuc ; ou tout au moins les départements du Finistère et des Côtes-d’Armor, si l’on veut tenir compte de la commune de Bannalec (près de Quimper), où il est né et où il a été inhumé.

 

Bibliographie

 

Dizerbo A.-H., 1982. Algologues en Bretagne. Penn-ar-Bed, 108-109 : 3-5.

Faure A (dir.), 2006. Herbiers de la région Rhône-Alpes 2e partie : catalogue. Lyon, 348 p.

Jacq P. & Cochard M., 2009. Ofis ar Brezhoneg / Office de la langue bretonne. 60 p.

Kerviler R., 1905. Répertoire général de bio-bibliographie bretonne. Livre premier, Les bretons. Fascicule quarante-quatrième (Ger-Gir). Rennes, Librairie générale de J. Plihon et L. Hommay.

Le Goff J.-P. Y., 2015. La laïcisation de l’école à Morlaix (1870-1892). Le livre libre, 298 p.

Philippe M., 2014. L’herbier bryophytique de Noël-Antoine Aunier (1781-1859) au lycée Ampère de Lyon. Bulletin mensuel de la Société linnéenne de Lyon, 83 (7-8) : 209-214.

Sicotière (de la), 1883. Rapport sur la visite aux anciens monuments au Musée et à l’Exposition archéologique et artistique de Châteaubriant. Bulletin archéologique de l’Association bretonne, (3) 2 : 169-188.

 

 


Notes


  1. https://femherbier.hypotheses.org/category/lalguier-dagathe-de-gourcuff.

  2. https://commons.wikimedia.org/wiki/Category:Collection_de_plantes_marines_recueillies_sur_les_bords_de_l%27Odet.

  3. AD-29, Bannalec, 1 MI EC 4/19 – Naissances 1823-1837.

  4. AD-22, Lamballe, 7E93 22 – Mariages 1850-1859.

  5. Courrier de Bretagne, n°83, 14 octobre 1868.

  6. Bulletin administratif du ministère de l’Instruction publique, des cultes et des beaux-arts, 10, n°183, 26 septembre 1868.

  7. Bulletin administratif du ministère de l’Instruction publique, des cultes et des beaux-arts, 10, n°185, 14 octobre 1868.

  8. Revue de l’Instruction publique de la littérature et des sciences en France, 21, n°40, 2 janvier 1862.

  9. Bulletin administratif du ministère de l’Instruction publique, des cultes et des beaux-arts, 15, n°274, 22 février 1872.

  10. AD-29, Morlaix, 1 MI EC 188/75 – Décès 1881-1883.

  11. Le Finistère, 11, n°2, 11 février 1882.

  12. Bulletin administratif du ministère de l’Instruction publique, 9, n°173, 30 avril 1868.

  13. Bulletin de la Société d’encouragement pour l’Industrie nationale, 5 : 327, 1878.

  14. Bulletin administratif du ministère de l’Instruction publique, 7, n°135, 26 février 1867 et Le moniteur universel, n°60, 1er mars 1867.

 

Auteur


Cédric Audibert
Musée des Confluences, Centre de conservation et d’étude des collections, 13A rue Bancel, 69007 Lyon, France.
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Citation


Audibert C., 2019. Un alguier de Gourhaël de Pénenprat (1826-1882) au Lycée Ampère de Lyon. Colligo, 2(1). https://perma.cc/EZ5R-33T2